Protéger nos forêts / #3 / Agir juridiquement

Considérer les forêts mondiales comme un bien commun mondial géré par la communauté internationale de manière exclusive ou conjointement avec plusieurs États en coalition pose des difficultés d’un point de vue juridique et politique.

Un bien commun appartenant à « tout le monde » ne serait pas forcément protégé car « personne » ne voudrait assumer la responsabilité de sa gestion. La « tragédie des communs » Garrett Hardin

En 1990, des négociations internationales ont été lancées pour définir une convention mondiale sur les forêts approuvée par le G7 mais, en 1992 lors du Sommet de Rio, aucun consensus n’a été trouvé mais plutôt une déclaration de principes non contraignante.

Ni le Protocole de Kyoto de 1997 ni l’Accord de Paris n’ont défini des obligations pour les États possédant des forêts. Le Brésil a par exemple refusé de s’engager sur ces questions et les négociations sont paralysées depuis la COP 24 jusqu’à nouvel ordre.

Video You tube : Lumni https://www.youtube.com/user/francetveducation

Il n’existe pas de traité international envisageant la protection totale des forêts. Elles ne sont protégées que de manière fragmentée. Il existe pourtant des pistes de solutions pour mieux protéger ces espaces vitaux. La Convention-cadre sur le changement climatique ou celle sur la protection de la diversité biologique exigent un traitement spécifique réservé aux forêts.

Tous les textes internationaux relatifs aux forêts les envisagent de manière parcellaire, sans prendre en compte les enjeux forestiers dans leur globalité.

La Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (UNCCD) donne une place importante à la protection et l’expansion des forêts mais n’envisage les forêts que sous l’angle précis de la lutte contre la sécheresse sans élargir à d’autres aspects des territoires forestiers.

La Convention de Ramsar tient à assurer la conservation et l’utilisation prudente des terres humides, grâce à une coopération internationale. Plus d’un millier de sites sur plus de 80 millions d’hectares, sont classés. Certains contiennent des écosystèmes forestiers, comme des mangroves, mais il est impossible de déterminer leur nombre exact car les forêts en tant que telles ne sont pas identifiées dans le cadre de la convention.

La Convention du patrimoine mondial établit un système de protection collective du patrimoine culturel et naturel, ayant une valeur universelle exceptionnelle. Certaines forêts comme l’Amazonie entrent potentiellement dans la définition du patrimoine naturel:

« Les sites naturels ou les zones naturelles strictement délimitées, qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de la science, de la conservation ou de la beauté naturelle« 

Près de 213 sites naturels sont inscrits sur la liste du patrimoine mondial dont 41 qui entrent dans la catégorie des forêts tropicales. La majorité des sites désignés occupent une surface relativement modeste. La Convention ne s’impose en aucun cas à la souveraineté nationale des États ((article 4 de la Convention de l’Unesco) sur lesquels le territoire ou la forêt « classée » se situe. De sorte que la volonté politique de l’État en question demeure reine.

Le crime d’écocide est une idée évoquée mais pour être reconnu en droit international par le Statut de Rome gérant la Cour Pénale internationale, ceal supposerait de rendre équivalent la notion de « génocide » ou crime contre l’humanité à celle de crime contre l’environnement. Toute la difficulté viendrait à prouver cette « intention » criminelle, inhérente à la notion même de crime contre l’humanité lors d’une activité nuisant à l’environnement. L’écocide supposerait de pouvoir désigner un ou plusieurs coupables et responsables mais en matière environnementale, les responsabilités très souvent sont partagées et il s’agit parfois d’un manque de précaution que d’une véritable intention de nuire.

Mobiliser de nouveaux droits

Le droit à l’environnement sain, le droit des autorisations administratives liées aux projets et activités ayant une incidence sur l’environnement (et les forêts), le droit des études d’impact environnemental, le droit de la responsabilité liée aux dommages causés à la nature et à l’environnement sont des pistes juridiques.

En Amérique du Sud, les dénommés « droits de la démocratie environnementale » contemplés dans l’Accord d’Escazu permettent aux populations concernées par une activité sur l’environnement d’être préalablement informées de manière effective et d’avoir accès à la justice en matière environnementale

Les droits humains seraient aussi mobilisables comme celle des incendies actuels.

La Convention régionale interaméricaine de protection des droits de l’homme est facilement mobilisable devant la Cour Interaméricaine des droits de l’homme. La Convention européenne de protection de droits de l’Homme a déjà été sollicitée à plusieurs reprises avec succès sur des questions environnementales et climatiques (Ex : affaire Urgenda).

Les droits constitutionnels et administratifs visant la protection de droits fondamentaux comme le droit à la santé, à la vie et à un environnement sain sont également une arme efficace. On peut envisager des recours en justice devant un juge national afin de faire protéger la forêt en tant qu’élément de l’environnement.

Certains tribunaux ont accordé la personnalité juridique à des éléments de la nature (fleuves, espèces animales ou même récemment à la forêt amazonienne en Colombie). http://www.naturerights.com/blog/?p=2064

En conclusion, pour qu’un traité de protection globale de forêts, incluant à la fois les aspects environnementaux, climatiques et écosystémiques, et les aspects économiques liés au bois, voit le jour, il nous faut repenser entièrement nos modèles de développement et nos modèles agroalimentaires. Nous sommes bien dans une crise systémique qui nécessite des changements profonds dans notre manière de vivre. Activer les droits ci-dessus est possible et déjà en cours. Notre rôle de citoyen est d’agir sur notre façon de consommer comme je l’ai indiqué dans l’article #1 mais cela ne semble pas malheusement concerner, volontairement ou non, la majorité des consommateurs. L’action citoyenne ET associative concrète au niveau juridique est un moyen qui a un impact réel dans la mesure ou des sanctions économiques ou pénales importantes peuvent infléchir ou anéantir des décisions privées ou étatiques ayant une incidence environnementale forte. Notre rôle est donc plus que jamais d’agir ensemble pour constituer une force citoyenne alternative puissante afin de contrer les lobbys qui pour l’instant mènent le monde vers l’abysse…

Pour agir :

https://www.sauvonslaforet.org/

Source d’information pour cet article :

Techni.cités / Marta Torre-Schaub, Directrice de recherche CNRS, juriste, spécialiste du changement climatique et du droit de l’environnement et la santé, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne /

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