Porté par cette claire lumière de l’est et un bon vent médium de sud, je quitte Herm sous gennaker en laissant les roches de « Noire Pute »sur tribord. Je prends la direction d’Alderney puis celle du cap de la Hague. Mon objectif aujourd’hui est double. Passer à Cherbourg où je dois récupérer en point relais une importante commande puis faire un test PCR pour ensuite rejoindre la baie de St Vaast La Hougue ou je compte bien « m’échouer » sur le sable afin de profiter d’une soirée digne de ce nom au « Goéland 1951 », célèbre resto-bar avec sa vue imprenable sur la manche et l’île de Tatihou.



En passant au large de l’usine de retraitement de déchets nucléaires, j’ai une pensée pour le poète normand Côtis-Capel, le premier prêtre-marin de l’histoire contraint de débarquer en 1959, sur ordre du Vatican, après dix années de navigation sur des chalutiers à se « mouiller » à la réalité difficile de ses frères marins pêcheurs. Il aura été jusqu’à sa mort un farouche opposant à ce qu’il appellait les « outils de malheur » (« Haro ! Haro ! No n’veurt dé vos ôtis à ma »).
Le débat est vif sur la « nécessité » ou « l’intérêt » de continuer avec cette énergie dite « propre » ou de la substituer à d’autres dites plus « écologiques ». Ce fut pour moi une longue réflexion avant de m’engager dans ce voyage vers le grand nord. Je souhaitais être le plus autonome et le plus cohérent possible au niveau des énergies utilisées à bord. « Spirit » utilise bien évidemment la force du vent pour se mouvoir mais a besoin d’électricité et d’énergie pour la navigation et le confort à bord. J’ai décidé de l’équiper avec des énergies renouvelables dont trois panneaux solaires souples amovibles avec mousquetons sur œillets et une éolienne d’appoint. Ici à Cherbourg, je suis venu récupérer un colis qui contient un alternateur réversible qui se raccorde sur l’arbre d’hélice du moteur. Il recharge quand « Spirit » est sous voiles et sert de moteur électrique auxiliaire pour les entrées ou sorties de port. En attendant les futures batteries au Sodium-ion ou au graphène, je suis équipé de deux batteries gel qui ont une bonne longévité si on sait les ménager. Et puis pour éviter de consommer, j’ai revu tous les éclairages en mode led (sauf la bonne vieille lampe tempête 😉 et l’isolation de mon frigo.

Je quitte ce grand port chargé d’histoire en étant rassuré d’être « positif ». Équipé en ce 14 juillet du fameux sésame à QR code, je vais pouvoir boire un coup en toute « liberté » et surtout pouvoir pointer mon nez en Angleterre ou je serais tout de même mis en « quarantaine » pour 12 jours n’ayant pas « encore » accepté une vaccination. Un marin a besoin d’un cap précis et les avis sont trop contradictoires, trop passionnés et parfois trop « intéressés »pour prendre une décision sans la moindre hésitation. En attendant, je continue comme avant à booster mon système immunitaire grâce à une alimentation saine, une bonne hygiène de vie, quelques plantes ancestrales et des huiles essentielles.

J’arrive en fin d’après-midi en baie de St Vaast. Je choisi mon point d’ancrage pour pouvoir profiter de la soirée en toute tranquillité. Une fois à marée basse, je me dirige vers le « Goéland 1951 ». Ce resto-bar porte bien son nom vu la profusion de ces oiseaux qui vivent à côté. 1951 est l’année à partir de laquelle le blockhaus, dans lequel est aménagé le resto-bar, a commencé à être exploité, Ce lieu n’a pas toujours été ce cadre idyllique de la baie de Saint-Vaast-la-Hougue, avec vue sur Tatihou. Le paysage a souvent choisi le rêve mais les hommes n’ont pas souvent été raccord avec lui.



Heureusement, ce soir est magique. Le soleil commence à décliner ses notes de jazz. Une délicieuse chanteuse métisse glisse entre mes oreilles un merveilleux « Kiss from a rose » parfaitement accordé avec les couleurs d’un ciel aux sensuelles aquarelles et la touche bleue d’un pianiste aux mains d’or. Le batteur ponctue avec finesse ce moment. Je savoure mon Mojito devant ce double spectacle que m’offrent la nature et la musique. Mes pensées m’embarquent comme si j’étais suspendu à des ballons colorés dans un ciel lumineux. Des applaudissements nourris renvoient l’émotion reçue et me ramènent à terre. Le groupe s’arrête un instant en s’accordant une pause bien méritée. L’agitation reprend. Les gens commencent à se diriger vers la plage. J’ai, le temps d’un instant, complètement oublié que nous étions le 14 Juillet et qu’un feu d’artifice allait nous renvoyer vers les étoiles.
Soudain, un ange apparaît.
« Bonjour, puis-je m’asseoir à votre table ? « . Mon cœur subit un léger électrochoc. Une rose me parlait.
« Mais bien sûr », dis-je en balbutiant.
« Nous nous sommes déjà croisés je crois » me dit-elle avec un sourire désarmant.
« Désolé, je ne vois pas, à mon grand regret… ».
« Rappelez-vous ; Jersey Nord, 4h du mat… ».
« Vous voulez dire, c’était vous… » Elle m’interrompit d’un doigt sur ses lèvres et me montra très discrètement une étoile de mer en signe de reconnaissance. Les premières détonations retentirent. Elle se leva et m’invita à la suivre loin de la foule. Une fois à l’abri des regards et d’oreilles non discrètes, elle se présenta :
« Bonsoir, je m’appelle Angela, enfin c’est mon prénom pour « l’organisation ». Et vous « le fugitif », je ne veux pas connaître le votre mais je vais vous en donner un. Ce sera « Jimi » comme votre guitariste préféré et le jeune héros du film « Quadrophénia ». Dans cette enveloppe, à conserver très précieusement, des papiers pour circuler librement en Angleterre. Des questions? »
« Attendez un instant, j’ai l’impression de devenir James Bond ou de me transformer en héros de mission impossible. De quoi s’agit-il? »
« Rien de grave ou de dangereux. Il s’agit de rejoindre un groupe en Angleterre et leur remettre l’objet que vous avez découvert dans le bidon étanche. Jo et Alejandra ont une confiance absolue en vous. Vous avez évoqué « Mission impossible ». Vous ne croyez pas si bien dire. Nous sommes à un tournant de l’humanité et sans une organisation efficace, pragmatique, il nous sera interdit de réussir notre mission, celle de garder la planète vivable pour des milliards d’êtres humains. »
« Et en qui vous concerne, quelles sont mes garanties? Vous pourriez être, disons, une espionne dont l’objectif est de nous anéantir avec… le sourire. »
« Vous aurez ces garanties très bientôt. Retournez au bar et vous verrez. Il est évident que nous ne connaissons plus jusqu’à nouvel ordre, n’est ce pas? »
« A mon très grand regret… ».
Elle sourit et d’un pas déterminé me laisse sur place face au spectacle pyrotechnique qui fini en apothéose.
Dix minutes plus tard, j’entends le concert qui reprend. Je remonte la plage dans la douceur de la nuit et retourne écouter cette fabuleuse rose. Je commande ce que je crois être un dernier verre au bar quand soudain j’entends une voix connue:
« Alors, cher Jimi. Et ce voyage? »
Je me retourne et je vois mon Jo habillé en costard avec son sourire digne de Jack Nicholson. A cet instant la chanteuse entame une version jazzy de « Jimmy » du groupe Moriarty tout en se tournant vers moi en décochant un clin d’œil malicieux.
A suivre en Angleterre… 😉
©Alan Mabden/Dimanche 31/10/21/Tous droits réservés
Episode 1 : https://pigrai.com/2021/06/10/serie-spirit-le-fugitif-roman-de-voyage-maritime-murs-messieurs-de-saint-malo/
Episode 2 : https://pigrai.com/2021/07/14/serie-spirit-le-fugitif-plumes-de-mer-chateaubriand-et-hugo-14-juillet-2021/
Episode 3 : https://pigrai.com/2021/08/15/serie-spirit-le-fugitif-meditation-a-chausey-cap-vers-le-nouveau-monde/
Episode 4 https://pigrai.com/2021/10/04/suite-spirit-le-fugitif-cap-sur-lengagement-jersey-et-herm/



Immense jardin littoral, le val de Saire est un territoire vivant où terre et mer jouent sans cesse à cache-cache. Les tours de Tatihou et de La Hougue, œuvres de Vauban, ont été inscrites au patrimoine mondial de l’UNESCO. Petit bout de terre où se mêlent un patrimoine culturel exceptionnel et une nature préservée, Tatihou tient son joli nom des Vikings qui peuplèrent la Normandie. Port de départ des troupes de Guillaume Le Conquérant avant la conquête de l’Angleterre, Saint-Vaast est entré dans l’histoire lors de la bataille de La Hougue en 1692. La petite île Tatihou, véritable paradis ornithologique, se transforme en presqu’île à marée basse, toujours accessible en bateau amphibie. L’île est dominée par la tour Vauban et ses fortifications.la Tour Vauban : large de 20m de diamètre, elle culmine à 21m de haut et offre une vue magnifique sur l’île et le littoral. Comme sa jumelle de Saint Vaast, elle est classée à l’Unesco. La tour de Tatihou est édifiée à partir de 1694 sur les plans de l’ingénieur De Combes. Dans son inspection de 1699, Vauban en constate l’achèvement. Elle a 21 mètres de haut, 20 m de diamètre à la base et comporte, répartis sur les trois niveaux, un magasin à poudre, un logement pour 80 hommes et une plate-forme pour 10 pièces de canons. Cette tour est entourée d’une ferme fortifiée, comportant casernements et chapelle.


J’aime beaucoup. Une intrigue est ouverte par une jolie femme. Que demander de plus ? Vivement la suite.
Beau dimanche Alan
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Merci Régis pour ton retour. Belle soirée à toi. Alan
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Bravo pour cette suite Alan,
Je découvre grâce à toi l’île de Tatihou que je ne connaissais que de nom. Quel endroit enchanteur, cela doit être sympa de s’y rendre à pied, il semblerait que ce soit possible lors des marées basses de plus de 70 de coefficient.
Merci de nous faire voyager dans ces paysages splendides, tes photos d’illustration sont très belles, et mettent en avant la beauté sauvage de la Manche.
Je te souhaite une bonne journée
Ben
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C’est bon. Je retrouve tes commentaires:). Cet endroit est fabuleux pour les amoureux des oiseaux. Vauban exprime encore son talent d’architecte en conjuguant utilité et esthétique.
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