St-Malo n’est plus qu’un paysage fondu dans le sillage. Spirit surfe sur les vagues de la Manche avec l’agilité et l’élégance d’un athlète coureur d’obstacles. Il communie avec les éléments, faisant corps avec le vent qui glisse sur son aile et cette eau de sel sur son flanc. Chausey est la première île de notre grand voyage vers le grand Nord, un morceau de choix qu’il me faut négocier avec prudence. L’archipel est réputé pour son marnage très important, pouvant atteindre 14 mètres (*). J’arrive sur le « Sound » avec grande attention, un peu contraint par le courant. Cela faisait très longtemps que je n’étais pas venu à Chausey. Le paysage a changé et les habitudes de l’île aussi. De nombreux bâtiments ont été transformés en gîte, et de nombreux arbres ont poussé. Il y avait autrefois une ferme, une école. Tout cela a disparu. Je me souviens de cette soirée passée à bord d’un 11 mètres avec un équipage de copains. Nous voulions faire des crêpes mais il nous manquait des œufs. Un équipier est venu m’accompagner dans l’annexe pour débarquer sur l’île à la recherche du fameux trésor. Nous avions frappé à la porte d’une de ces petites maisons de pécheurs. Une femme de marin nous avait ouvert son sourire et nous avait donné ce qu’il nous manquait avec une grande gentillesse malgré l’heure tardive.


C’est l’été, avec son flot continu de navires de touristes venus envahir ce petit paradis. Je recalcule la marée et regarde attentivement les dernières prévisions météo afin d’avoir un mouillage tranquille pour ce soir. La journée se termine et les derniers bateaux quittent les lieux. Les quelques marins ici présents apprécient de retrouver le calme et la magie de l’endroit.
A marée haute et dans le soleil couchant, Chausey prend une autre dimension. Je m’installe à l’avant sur le pont. Là, enveloppé par la lumière du seul roi de l’univers, je commence une méditation en position de lotus. J’ai une pensée pour Bernard Moitessier, le célèbre navigateur.

Cet homme m’inspire par son parcours et sa vision. Il doit se retourner dans sa tombe en voyant ce que nous avons fait de ce monde et notre impuissance à changer nos comportements, malgré les avertissements répétés de ses semblables au siècle dernier. Nous sommes devenus de grands enfants qui veulent de plus en plus de jouets, de plus en plus gros, de plus en plus beaux, dans un monde qui a pourtant, et de plus en plus, ses limites. Nos partis politiques, même ceux qui se repeignent en vert, sont encore dans un schéma de croissance et nous votons encore pour eux, comme des addicts à des discours d’illusionnistes, comme des drogués du confort, des alcooliques à la vue trouble. Toutes ces pensées traversent ma méditation, tout comme cette crise sanitaire à l’issue incertaine. Tout en les laissant passer sans m’y attarder, je me centre sur ma respiration et sur ce spectacle ambré pour apaiser mon esprit.

Les derniers rayons éclairent mon visage et me font du bien. Progressivement, le bocal agité remplie d’eau boueuse qu’était ma tête se pose et la tempête de sable dans mon crâne s’atténue, laissant la poussière se déposer lentement dans les fonds, me permettant de nouveau une vision claire au travers d’une eau transparente, limpide. Un silence blanc m’habite désormais, ponctué par quelques chants d’oiseaux marins. Je peux de nouveau me remplir d’amour et redevenir celui que je suis profondément. Un être bienveillant et positif. Je pense à Alejandra, à Jo, à toutes ces personnes rencontrées qui agissent pour que notre monde soit meilleur. En ce moment précis, la vacuité générée par la méditation m’amène de nouvelles pensées, créatrices. Je ne peux plus être un fugitif, sans but, sans cap. Je ne vais pas rester les bras croisés à regarder notre monde et notre humanité s’effondrer. Je sais que je suis mortel et que je suis de passage sur cette terre bien aimée mais d’autres suivront. Des enfants, des adolescents sont déjà là et doivent pouvoir envisager un autre avenir que celui que l’on nous annonce. Je ne veux plus être pollué par les discours et les débats stériles d’égotistes sur les plateaux télé. Tout en essayant de vivre une vie et des actes qui soient en accord avec mes valeurs, je ne veux plus plonger dans les abysses de l’angoisse et de la peur incontrôlée. Je vais m’engager à mon tour dans l’action, sans paroles, sans violence. Puisque les puissants ne nous écoutent plus, voir nous ignorent, il faut arrêter de lutter. Juste agir, en silence et discrétion, chacun à sa manière, avec ses compétences et ses capacités. Agir au profit du bien commun, de la communauté humaine, d’un avenir possible. Je ne crois pas que tout le monde s’en fout. Je pense que individuellement, nous ne savons que faire, comme pris dans un étau broyeur. Il nous faut une nouvelle vision citoyenne, collective, débarrassée des intérêts trop élitistes. Agir en réseau, intelligemment et stratégiquement.
Ma méditation prend fin avec la nuit qui tombe. Je retourne dans le carré pour me servir une tisane apaisante que je déguste dans le cockpit, la tête dans les étoiles, la tête dans un rêve qui prend forme dans une nouvelle réalité.
Demain, je contacte Jo et Alejandra pour leur faire part de mon engagement dans « l’organisation ».
@Alan Mabden / Dimanche 15 Août 2021 /

(*) Venir à Chausey

Passant de 52 ilots rocheux à marée haute à 365 à marée basse, Chausey est une ile qui ne s’improvise pas en navigation. Arriver de nuit à Chausey est fortement déconseillé.
L’archipel est réputé pour son marnage très important, pouvant atteindre 14 mètres, transformant le Sound en un petit chenal à marée basse. Le petit groupe d’îlots visible à la pleine mer se transforme à basse mer en étendues de sable et fourmillement de roches à perte de vue. En vives eaux, le courant dans le Sound peut atteindre 4 nœuds. La navigation dans le Sound nécessite donc une grande prudence.
C’est la météo qui doit toujours guider votre choix car il n’existe par à Chausey d’abri sûr pour tous les temps. La Grande Île protège le Sound des vents de suroît. Par vents forts de nord et d’est, il existe plusieurs bons mouillages au sud de l’île : Port Marie, Port Homard.
L’entrée du Sound se fait de préférence par le sud-est, sous le phare. Attention, à basse mer, par fort coefficient, la hauteur d’eau est de plus en plus faible à mesure que vous remontez le Sound. L’entrée est balisée par les 3 perches alignées bâbord sous le phare et la bouée verte « Les Épiettes ». Ensuite, le balisage guide les plaisanciers. Il est aussi possible d’entrer dans le Sound par une passe au nord-ouest, après la mi-marée montante. Passage impossible de nuit et réservé aux connaisseurs.

Le mouillage à l’ancre dans le Sound n’est possible que sous la Pyramide pour les grosses unités et au Cochon. Il est interdit ailleurs afin d’éviter que les ancres se prennent dans les chaînes-mère des différents équipements et pour préserver l’herbier de zostère des Épiettes et de l’Anse aux oies.
À ne pas faire :
- Mouiller à l’ancre dans le Sound en dehors du Cochon et sous la Pyramide (grosses unités). Vous risquez d’y coincer votre matériel dans les chaînes mères, de toucher vos voisins et d’empêcher la circulation des navires.
- S’amarrer sur les viviers flottants des pêcheurs est totalement interdit et dangereux.
- Utiliser des corps-morts privés, de pêcheurs professionnels ou de services publics est strictement interdit.
J’adore. Chausey doit être blindé de ces cailloux nommés « bombe » ou « tête de mort », que l’on ne voit qu’à marée basse, et sur lesquels c’est trop facile d’aller se vautrer.
14 m de marnage, il faut être très vigilant, autant pour les courants que pour les cailloux.
Merci pour ce voyage et pour l’hommage à Moitessier dont on a lu les livres relatant son aventure.
Belle fin de journée,
Régis
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Merci Régis. Oui, j’ai vu à chausey un voilier (heureusement en alu) bloqué entre deux rochers à plusieurs mètres de hauteur à marée basse. Le voilier était retenu par des aussières avec plusieurs personnes à la manœuvre. Je n’ai pas vu la fin mais ça devait être coton..
Belle journée
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Superbe suite à ton récit, je te félicite encore une fois pour ton grand talent d’écriture. Cette suite est une belle invitation au voyage, et à la méditation positive. Comme toi, je suis convaincu qu’un monde meilleur, plus humaniste, et moins tourné vers le confort matériel est possible. Tes textes nous offrent de nouvelles perspectives, et une vision positive de l’avenir.
Un grand bravo à toi
Ben
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Merci Benjamin et très heureux d’avoir de tes nouvelles e5 de lire ton commentaire. J’espère que ces quelques semaines de recul t’auront fait du bien.
J’ai pensé à toi lors des incendies du Var.
Bonne soirée et à bientôt
Alan
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