Il est cinq heures. Je quitte Saint-Malo et sa muraille majestueuse. Il y a des instants ou pour rien au monde, je ne céderais ma place. Ce lieu est chargé d’histoire, d’émotions et d’une nature puissante, indomptable comme le cœur des bretons. Il y a des moments ou, je l’avoue, je suis fier d’être à la barre. Je ne peux m’empêcher de passer devant l’îlot du grand Bé ou repose, face à la mer immense, François-René de Chateaubriand le romantique (*).

Là, face aux embruns, sous l’épaisse noirceur du ciel, je pense à cette relation spirituelle étonnante entre François-René et le jeune Victor. À 14 ans, dans son journal intime, Hugo écrit : “Je veux être Chateaubriand ou rien. » Trente-quatre années les séparent pourtant : Chateaubriand est né en 1768, Hugo en 1802. Politiquement, Chateaubriand le royaliste et Victor Hugo le républicain peuvent paraître aux antipodes l’un de l’autre. La réalité était sans doute moins tranchée : Hugo doit à sa mère d’avoir grandi dans la tradition royaliste et ses premiers engagements sont proches de ceux de Chateaubriand. Tous les deux ont lutté pour la liberté de la presse, ont endossé le rôle d’opposants, ont connu l’exil, Victor Hugo à Bruxelles, Jersey, puis Guernesey, Chateaubriand à Londres. Du jour au lendemain, Victor Hugo n’est plus rien, sinon le premier ennemi de Louis Napoléon Bonaparte, comme un autre s’était voulu l’opposant principal de Napoléon. En passant à Bruxelles puis en abordant à Jersey, l’auteur d’Hernani ne cessera de retrouver sur son chemin celui des Mémoires d’outre-tombe… Ces deux hommes étaient mal avec leur siècle, avec cette société corrompue de leur époque. Pour cette génération et pour celles qui suivent, le romantisme incarne donc ces valeurs de révolte individuelle et de passion pour la liberté.
A la barre de « Spirit », je les comprends, à l’heure où moi aussi, je ne comprends plus ce siècle qui démarre sous des allures de dictature, d’atteintes aux libertés fondamentales, à notre environnement. Comme eux, je dois « m’exiler » et me retrouver seul, mais face à une mer généreuse et puissante qui me nourri de l’intérieur, seul endroit où j’habite vraiment, seule forteresse où je peux me mettre à l’abri de ceux qui voudraient porter atteinte à mon intégrité. A bord de « Spirit », j’ai l’autonomie pour tenir mon « siège ». je m’arrêterais là ou l’on veut bien m’accueillir et me laisser libre. Comme au temps d’Hugo et de François-René, le temps passera sur les mensonges d’une époque.
Je pense à Alejandra mon amie, qui, elle, ne fuit pas. Elle, a choisi de repartir au Chili, au front, un front citoyen pour réécrire l’histoire, celle de l’après Pinochet. Ce qui se passe là-bas est phénoménal et un signal fort envoyé à notre monde. La convention constitutionnelle chilienne a élu à sa présidence une Indienne mapuche, l’universitaire Elisa Loncon, 58 ans, née dans un petit village d’Araucanie. Un résultat obtenu grâce à l’action du mouvement féministe. Il s’agit d’un geste en faveur des peuples autochtones, jusqu’à présent exclus des décisions de l’État, notamment du peuple mapuche, qui est confronté à un conflit historique pour les terres dans sa région d’Araucanie. Je sais qu’elle est au cotés de cette femme, très influente. Comme Victor Hugo, elle se bat de toute son âme contre les injustices de son temps. Je l’admire. Elle est une nouvelle romantique, éprise de liberté. Nous sommes en communion, en connexion. Si loin et si proches. Nous nous reverrons. Chacun sa route, chacun son destin. « Spirit » lui aussi fait front, au près serré, tranchant les vagues aux couteau. Direction les îles Chausey, puis Jersey et Guernesey.
©Alan Mabden écrit le mercredi 14 Juillet / Tous droits réservés / Dessin de couverture Victor Hugo 1858
(*) François-rené de Chateaubriand

François-René est le vrai prénom de Chateaubriand, né à Saint Malo le 4 septembre 1768 et est mort à Paris le 4 juillet 1848, il est un écrivain romantique et homme politique il deviendra le ministre des affaires étrangère. Il fait un voyage en Amérique la ou il trouve l’inspiration pour écrire Atala, Il fait successivement ses études dans plusieurs collèges de Dol, Renne et Dinan. Il se marie avec Céleste de La Vigne-Buisson en 1792, en 1793 il part vivre à Londres après avoir été blessé au cour du siège de Thionville. Il arrête sa carrière militaire et se consacre à l’écritiure.
« Préromantique après Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre, Chateaubriand est le maître le plus direct des romantiques. L’amour n’est pas seulement analysé, il s’exprime directement, violent, douloureux, tragique puisqu’un obstacle essentiel lui interdit de s’accomplir. Supérieur au monde, il est idéalisé, divinisé, presque. Atala connaît un succès immense et durable. En témoignent Les Funérailles d’Atala, tableau de Girodet (1808) et de nombreuses gravures popularisant le roman.
Comme Atala, René dérive des Natchez et, rattaché au Génie du christianisme, il est publié en 1802. Le personnage de René, prototype du héros romantique, illustre le « vague des passions », une perpétuelle insatisfaction, une mélancolie, un dégoût de la vie, un désaccord entre le moi et le siècle. le héros romantique se confie, s’épanche, parle de soi. le lyrisme de chateaubriand façonne une sensibilité qui s’épanouira dans le romantisme.
Avec Le Génie du Christianisme (1802) et Les Martyrs (1809), épopée en prose située au IIIe siècle, durant les persécutions de Dioclétien, Chateaubriand donne aussi à ses contemporains et successeurs le goût de l’histoire. L’Itinéraire de Paris à Jérusalem (1811), récit du voyage fait, par Chateaubriand en quête de couleur locale pour ses Martyrs, introduit un genre nouveau : le voyage de l’écrivain, et met l’Orient à la mode ; Lamartine, bientôt, puis Nerval et Flaubert, écriront leur propre voyage en Orient. »
Source » https://www.lumni.fr/article/chateaubriand-le-precurseur-du-romantisme «
La Mer / François-René de Chateaubriand
Des vastes mers tableau philosophique,
Tu plais au cœur de chagrins agité :
Quand de ton sein par les vents tourmenté,
Quand des écueils et des grèves antiques
Sortent des bruits, des voix mélancoliques,
L’âme attendrie en ses rêves se perd,
Et, s’égarant de penser en penser,
Comme les flots de murmure en murmure,
Elle se mêle à toute la nature :
Avec les vents, dans le fond des déserts,
Elle gémit le long des bois sauvages,
Sur l’Océan vole avec les orages,
Gronde en la foudre, et tonne dans les mers.
Mais quand le jour sur les vagues tremblantes
S’en va mourir ; quand, souriant encor,
Le vieux soleil glace de pourpre et d’or
Le vert changeant des mers étincelantes,
Dans des lointains fuyants et veloutés,
En enfonçant ma pensée et ma vue,
J’aime à créer des mondes enchantés
Baignés des eaux d’une mer inconnue.
L’ardent désir, des obstacles vainqueur,
Trouve, embellit des rives bocagères,
Des lieux de paix, des îles de bonheur,
Où, transporté par les douces chimères,
Je m’abandonne aux songes de mon cœur.
François-René de Chateaubriand
Victor Hugo / face à la mer…
La mer tient une place privilégiée dans la vie de Hugo. Les îles Anglo-Normandes de Jersey et surtout de Guernesey à partir de 1855, deviennent, pendant près de vingt ans, des lieux de résidence obligés. Durant ses séjours, l’homme s’approprie et se confronte à la mer, côtoie les pêcheurs et les marins… et écrit, peint depuis cette fenêtre maritime. Ce face-à-face lui permet de libérer son imagination et lui fait écrire les chefs-d’œuvre de la maturité des Contemplations à La Légende des siècles, des Misérables aux Travailleurs de la mer ou à L’Homme qui rit.

31 octobre 1855 : Victor Hugo
est expulsé de l’île anglaise de Jersey. Il doit s’embarquer pour Guernesey, autre île britannique, pour y chercher refuge. De son lieu d’exil, le poète attaquait tant Badinguet qui trônait aux Tuileries, que sir Robert Peel s’était dressé, en 1854, à la Chambre des Communes, en flétrissant « cet individu » qui avait osé dire au peuple de Jersey « que notre alliance avec l’Empereur des Français était une dégradation morale pour l’Angleterre. » A quoi Victor Hugo avait riposté, avant de s’embarquer pour Guernesey : « Il y a en effet entre moi et M. Bonaparte une querelle personnelle, la vieille querelle du juge sur son siège et de l’accusé sur son banc. »

L’idéal romantique

Lorsque paraît, en 1802, René, roman autobiographique de Chateaubriand, le malaise de la génération romantique apparaît en pleine lumière. S’y révèlent en effet l’affirmation absolue du « moi » et le constat amer d’une incompatibilité avec les exigences du monde et de la société. Le « mal du siècle » est cette prise de conscience d’une inadaptation fondamentale de l’être sensible à son environnement social.
« Ce fut comme une dénégation de toutes choses du ciel et de la terre, qu’on peut nommer désenchantement, ou, si l’on veut désespérance ; comme si l’humanité en léthargie avait été crue morte par ceux qui lui tâtaient le pouls »
La Confession d’un enfant du siècle – 1836 – Alfred de Musset
L’idéal romantique peut être résumé en un mot : liberté. Le romantisme est en effet l’emblème de cette jeunesse née au début du XIXème siècle et frustrée des espoirs suscités par la grande épopée révolutionnaire et napoléonienne. Car les enfants du début du siècle sont une génération sacrifiée.
Aussi, ce mouvement européen, au départ anti-français et anti-révolutionnaire, vire-t-il, en France, du monarchisme des débuts, au combat violent pour la liberté. Liberté politique, d’abord : même conservateurs (comme Chateaubriand), les romantiques animent la lutte contre la censure et participent à la victoire des Trois Glorieuses contre le régime de Charles X. Liberté morale, ensuite : ils tirent un pied de nez à l’ordre bourgeois. Liberté artistique, enfin : Hugo « tord le cou à ce grand niais d’alexandrin » et crée le drame romantique, cependant que Musset (au théâtre), Lamartine (en poésie), Chopin (en musique) font entendre leur voix singulière.
Pour cette génération et pour celles qui suivent, le romantisme incarne donc ces valeurs de révolte individuelle et de passion pour la liberté, proclamées par Hugo dans la préface de Hernani :
« Jeunes gens, ayons bon courage ! Si dur qu’on veuille nous faire le présent, l’avenir sera beau. »
Sur le plan social, le romantisme est également militant.
Lorsque Victor Hugo écrit « Les poètes sont les éducateurs du peuple »(dans William Shakespeare),
il prend clairement position : le seul privilège de l’artiste est de posséder un moyen d’expression, qu’il doit mettre au service du peuple. Les injustices politiques et sociales deviennent la cible de nombreux écrivains romantiques qui entrent en politique pour faire entendre leurs idées. Lamartine, par exemple, est candidat à la présidence de la République (1848) ; Hugo manifeste une violente hostilité à l’égard de Napoléon III, ce qui lui vaudra dix-neuf ans d’exil.
La mer pour point de rencontre entre Chateaubriand et Hugo et une admiration de ce dernier pour le talent politique de son aîné…. Voilà encore une chronique Pigraï Flair qui m’a vivement intéressé alors que je suis en pause blog, pas en mer mais à la source de l’eau, dans les montagnes. Merci Alan de me remettre ainsi dans le sens de la culture. Bon vent à toi.
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Merci à toi pour ta lecture et ton appréciation;. J’ai eu beaucoup de plaisir à écrire ce post, le 14 Juillet. hasard ?. Bonnes vacances dans les montagnes, si ressourçantes.
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Salut Alan,
🙏Merci pour ce texte qui nous fait voyager sur les traces de Hugo et Chateaubriand et sur ceux de la liberté, la vraie, celle qui finira par revenir. La culture aura toujours raison de la dictature. Il faut croire en de lendemains meilleurs, et ne jamais renoncés aux principes qui nous sont chers.
La mer et le grand large sont des sources d’inspiration pour tout penseur, ainsi que pour les amoureux de la liberté. On sent que l’océan est ton élément, et tu en parle à merveille👍.
🌞Je te souhaite un bel été et plein de bons moments malgré l’actualité sanitaire qui continue de nous bouffer la vie.
Bien à toi
Ben
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Salut Ben et merci pour tes commentaires qui font du bien. Oui la liberté est mise à mal et ça fait mal. Il faut résister calmement et préparer avec d’autres l’après. Ce qui est le plus difficile pour moi au delà du choix très personnel du vaccin ou pas, c’est la pensée unique favorisée par des medias privés dirigés par des industriels, c’est la santé qui devient privée et considérée comme un produit à vendre . Et dans mon entourage je commence à avoir des doutes sur la capacité des gens à vraiment rester critique, à vraiment s’informer sur le fond. On préfère les p’tites blagues sur Whatsapp ou titok er on continue à consommer des conneries . Pendant ce temps, la démocratie, les vraies libertés, l’environnement recule et ceux qui ont les yeux ouverts eux voient le mur arriver.
Mais bon faut pas trop réfléchir, il fait beau, la mer est verte et c’est l’été…
Alors restons zen et surtout serrons nous les coudes. C’est un truc qui s’appelle l’entraide, la vraie solidarité, l’authentique.
Je te souhaite, je nous souhaite des jours meilleurs. Nous pouvons profiter de l’océan, de la forêt, des rivières. La vraie nature est gratuite et nous aide à rester debout et lucide.
💥💥💥
Alan
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Cher Alan,
Je partage complètement ton analyse et je pense moi aussi qu’il faut à tout prix rester zen pour nous sortir au mieux des difficultés que nous rencontrons actuellement. En effet la colère et l’énervement ne font qu’apporter de l’eau au moulin de ceux qui aimeraient nous faire passer pour de dangereux complotistes.
La liberté nous appartient, c’est un choix que nous faisons ou pas, elle n’appartient ni au président Jupiter, ni aux industriels ou aux firmes pharmaceutiques. Faisons donc le choix de vivre simplement, comme tu le soulignes au plus près de la nature, dans un esprit de bienveillance et de lucidité. Merci encore pour tes observations toujours justes et pertinentes, chaque échange avec toi est toujours un plaisir🙏.
Bien à toi
Ben
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