« Les oiseaux de paradis » / Alan Mabden

Ce texte est ma participation à l’agenda ironique, hébergé ce mois ci par Laurence Délis, une amie blogueuse dont j’apprécie particulièrement la sensibilité et ses talents d’écriture et de peinture. Je vous invite à visiter son blog et à vous abonner. Vous trouverez plus bas, après le texte, les contraintes indiquées pour cet exercice d’écriture.

« Les oiseaux de paradis » / Alan Mabden

Le phare dessinait ses derniers arcs dans l’encre bleue de la nuit. La brume s’évanouissait pendant que le jour glissait sur l’horizon. La côte sauvage approchait lentement. Le vent faiblissait et le soleil naissant découpait en ombres chinoises les premiers arbres de ce magnifique rivage. Une lumière douce ambrée apaisait mes yeux fatigués par une longue traversée. J’approchais enfin de l’île du bout du monde, si désirée. J’affalais la grand voile et continuais sous génois. La coque glissait sur du velours. La mer était redevenue calme, comme pour mieux préparer mon arrivée.
Une fois passé le dernier cap, je virais vers la crique aux oiseaux et mon âme me dirigeais vers le vieux ponton de bois. Je distinguais sa silhouette en contre-jour qui me saluait au loin. Elle m’attendais patiemment dans la fraîcheur de ce matin. Souhaitant profiter de la magie de l’instant je fis une approche sans moteur avec juste un peu de toile d’avant. Le voilier glissa doucement dans le silence et j’accostais en douceur. Une fois le bateau bien arrimé, nous pouvions enfin nous étreindre. Emporté par ses yeux, je l’embrassais dans une tendre passion qui me sembla durer une éternité.

Je fis mes premiers pas de terrien après plusieurs semaines de mer. Sa main guidait un marin un peu ivre qui n’est plus habitué à un horizon stable. Les premiers chants d’oiseaux nous accueillaient dans un concert éblouissant. Une flore lumineuse servait de décor à ces artistes du vol plané, seuls habitants de ce lieu enchanteur.
Elle y vivait seule, loin de tout, loin du monde, de cette agitation permanente et des faux semblants. Elle avait besoin de cette solitude absolue pour écrire en paix.

Je déposais mon sac dans le cyclo-pousse, un authentique modèle venu du soleil levant. Une fois qu’elle fut bien installée à l’arrière, je conduisis la dame à son château. Nous approchions d’un bois à l’abri des vents dominants. Son « manoir » était une belle demeure traditionnelle asiatique peinte en rouge et ocre, avec vue imprenable sur la mer. J’avais l’impression de vivre l’histoire de St Exupéry au féminin, avec une princesse à bord d’une planète minuscule au cœur d’un univers infini.

Une fois le pied posé à terre, nous traversâmes un univers de plantes et de fleurs d’une beauté inouïe. Dans un endroit totalement abrité des vents dominants par des rochers et des haies d’arbustes denses, elle cultivait une sorte de forêt jardin, de petite taille mais immense pour le plaisir des sens. Comment pouvait-on cultiver de telles merveilles en un tel endroit, loin de tout? Elle adorait ses arbres fruitiers et affichait une grande fierté pour son magnifique poirier vieux de deux siècles qui lui donnait encore ses fruits au goût inimitable. Son jardin était un authentique chef d’œuvre. Elle faisait preuve d’une maîtrise impressionnante dans son art floral.

Elle me fit entrer dans la cuisine, éclairée par cette belle lumière naissante de l’Est. Elle me prépara un thé au jasmin et un petit déjeuner aux multiples facettes et aux saveurs subtiles. Je fondais sur ses délices et surtout sur ses yeux d’ange pécheresse. Elle posa délicatement ses mains sur mes épaules et déposa sur ma joue des baisers avec une infinie tendresse. Elle glissait ses cheveux sur mon visage. Ma fatigue m’abandonnait, elle qui m’avait pourtant accroché sans relâche jusqu’au petit matin.

Elle me fixa avec le regard du désir puis s’éloigna un temps pour rejoindre la salle d’eau. Elle laissa la porte entrouverte. J’entendais l’invitation couler dans la baignoire. Une musique douce avec des instruments traditionnels asiatiques fini par achever mon petit déjeuner.
Le film de ma vie tournait au ralenti comme pour mieux en savourer chaque image, chaque son , chaque effluve de parfum. J’entrais dans une grande pièce d’eau décorée avec délicatesse. Seule une bougie odorante éclairait cet espace. Je déposais lentement mes vêtements sur le portique. Elle ne me quittait pas des yeux. Je me glissais dans une eau parfumée qui caressait ma peau de ses huiles délicates. Nous étions assis face à face dans une brume à la chaleur enveloppante. Dans ce moment aquarellé, nos mains et nos bras se mélangeaient comme des couleurs en harmonie. Nos yeux n’en pouvaient plus de cette attente. Le film ralentissait encore alors que le battement de nos cœurs voulait emporter le rythme.

Elle se leva de toute sa grâce et m’invita sous la douche. Une pluie tropicale accompagnait nos mains fiévreuses et tremblantes. Nous dévorions nos fruits de paradis la tête dans les étoiles. Une fois séchés, nous entrions au cœur même du rêve.

Le paradis est plus simple que l’on imagine. Un grand futon, une très belle serviette de bain. Deux tapis à grandes mèches, deux miroirs à même le sol. Un lumière tamisée, quelques bougies et une musique zen. Elle m’invita à m’allonger et pris place à mes côtés. Je senti la chaleur de l’huile aux senteurs de coco qu’elle déposa sur tout mon corps. Son massage anéantissait ma raison. Ne restait plus que l’empire des sens. Elle glissa doucement sa poitrine sur mon dos et elle commença à explorer le marin échoué sur son île. Ma respiration devenait à la fois plus ample et haletante. Elle avait entre ses mains mon désir et sur sa langue mon interminable attente. Je me retournais sur le dos après de longues minutes et je pus à mon tour dessiner son paysage. La température montait encore aux rythmes de nos tambours haletants. Nous allions vers la fusion.

Ce matin là, les oiseaux de paradis volaient très haut au dessus de la maison, dans cette belle lumière du soleil levant quand soudain, dans un silence absolu, ils entendirent quelque-chose d’inhabituel en ce lieu, une sorte de bruit étrange et beau, un son que seuls deux humains à l’unisson peuvent créer, une onde qui transperce l’univers. La terre sembla trembler un instant. Plus rien ne bougeait. Juste la paix et l’harmonie entre deux êtres libres et aimants.

@Alan Mabden / Tous droits réservés / Dimanche matin 9 Mai 2021

L’exercice / Agent ironique

https://palettedexpressions.wordpress.com/2021/05/03/un-bruit-etrange-et-beau-agenda-ironique/

« De cette phrase tirée du titre du roman graphique de ZEP, vous avez toute latitude pour écrire ce qu’elle vous inspire, sous la forme qui vous convient : récit, poésie, article, dialogue, photo, collage, conte, légende, ou tout autre idée qui vous traverse. Deux contraintes seront cependant à intégrer : « Un bruit étrange et beau » ainsi trois mots : cyclo-pousse – île – poirier »

14 commentaires

      1. On se croirait dans un rêve, plus vrai qu’en vrai. C’est beau et super bien écrit.
        J’ai beaucoup aimé l’originalité du conte de Carnet, et j’aime tout autant ton texte, bien que totalement différent.

        Belle et douce soirée à toi, Alan. A très bientôt 😘

        Aimé par 1 personne

      2. Merci, So merci!🤗. Merci pour le compliment sur l’écrit. Venant de toi, j’en suis d’autant plus touché. Oui, c’est un rêve plus vrai qu’en vrai. Tu as raison. C’est mon rêve sublimé d’une rencontre avec une femme dans un lieu idyllique. La réalité est plus dure ou plus difficile. Alors, il y a l’écriture qui permet d’aller où l’on veut avec qui on veut. En écrivant j’y étais sur cette île avec cette femme. Il y a sur ma peau des souvenirs indélébiles… Une encre qui est entrée pour toujours dans ma mémoire. Et ça fait du bien de la ressortir pour écrire ces moments.
        Bien à toi
        Alan

        J’aime

  1. Un grand bravo pour ton texte Alan,
    On retrouve ta sensibilité et tes aspirations nobles et bienveillantes. Tu as su gérer à merveille les petites contraintes d’écriture tout en donnant du sens et de la profondeur à ton récit, pas facile le coup du « cyclo-pousse »😲🤔
    Tu t’en doutes, j’ai adoré le paragraphe du jardin forêt, qui m’a transporté littéralement dans ce lieu imaginaire décrit avec efficacité. La conclusion de ton texte est elle aussi une très belle réussite, merci Alan de nous partager tout ce talent.
    Je te souhaite une belle semaine et encore beaucoup d’inspiration à venir

    Ben

    Aimé par 1 personne

    1. Merci Ben. Tes compliments me soutiennent dans mon écriture. Je comprends que tu te sentes bien dans ce lieu qui te correspond bien. Comme je l’ai écrit à Solène, quand on écrit on pense à la fois à des personnes, des vécus et on mêle cela à des désirs, des envies et ça devient un rêve. Je crois que si l’on mettait en prison avec une tablette ou un cahier, j’arriverai à voyager, à espérer et à rêver. L’écriture n’a pas de limites si l’on laisse aller l’imagination.
      Merci à toi Ben et à bientôt
      Alan

      Aimé par 1 personne

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