Poésie / Sohrab Sepehri (سهراب سپهری) / Les pas de l’eau

Commencer l’année en poésie avec Sohrâb Sepehri, grand poète et peintre moderniste iranien du siècle dernier, permet de démarrer en beauté et en profondeur. Quelle poésie! Son texte « Les pas de l’eau » est magnifique. Sepehri passa son enfance dans l’un des plus grands jardins de Kâshân, laissé en héritage par sa famille de grands propriétaires, dans le quartier Ata. Ce jardin, avec sa nature intacte et originelle, devint toute la vie de Sohrâb et joua un rôle très important dans sa vie artistique, que ce soit dans ses poèmes ou ses peintures.

Sepehri est mort le 21 avril 1980 à l’hôpital Pars à Téhéran. Sa dépouille repose dans le sanctuaire de Sultan Ali à Mashhad Ardehal, dans son terroir bien-aimé.

Site officiel : http://www.sohrabsepehri.org/

LES PAS DE L’EAU (Extraits)

« Je viens de la contrée de Kashan.
Ma vie somme toute n’est pas trop difficile.
J’ai de quoi vivre, un brin d’intelligence, un minuscule talent.
J’ai une mère plus douce que les feuilles de l’arbre.
Des amis plus limpides que l’eau courante. »

(…)

Ιl faut laver nos yeux.
Ιl faut voir d’une autre manière.
Ιl faut purifier nos mots.
Ιl faut que le mot puisse lui-même devenir vent,
Puisse lui-même devenir pluie.
Ιl faut plier nos parapluies.
Ιl faut rester sous la pluie.
Ιl faut que pensée et mémoire en puissent être imprégnées.
Ιl faut suivre toute la ville à l’accueil de la pluie.
Voir son ami sous la pluie.
Chercher l’amour sous la pluie.
S’unir à une femme sous la pluie.
Se livrer au jeu sous la pluie.
Écrire, parler ou planter des volubilis sous la pluie.
La vie n’est qu’un baptême perpétuel.
Une ablution dans la vasque de l’éternel présent.

(…)

J’ai vu un train qui transportait de la lumière.
J’ai vu un train qui portait toute la théologie,
Et qu’il était lourd son fardeau!
J’ai vu un train chargé de politique
(Et qu’il était lourd son fardeau!)
J’ai vu un train chargé de graines de lotus, et de chants de canaris,
Et à des milliers de pieds d’altitude
Le visage de la terre entrevu par le hublot d’un avion
Couronne de la huppe.
Taches des ailes des papillons.
Reflets des grenouilles dans le bassin.
Essaim de mouches dans la rue de la solitude.
Et du platane à la terre accueillante le clair désir du moineau.
Puberté du soleil
Et union nuptiale de l’aurore et la poupée.

(…)

Des marches qui menaient aux serres chaudes de la passion,
Des marches qui descendaient aux caves de l’ivresse,
Des marches qui pénétraient la loi corrompue de la rose,
Qui conduisaient à la perception mathématique de la vie,
Qui s’élevaient jusqu’au toit de la gnose.
Marches qui venaient faire halte aux cimes irradiantes de l’Être.

(…)

L’intégralité du texte à découvrir dans ce livre :


Biographie

Sohrab Sepehri (en persan سهراب سپهری), né à Qom le 7 octobre 1928 et mort à Téhéran le 21 avril 1980, est un des grands poètes iraniens du XXe siècle. Contemporain d’Ahmad Shamlou, Forough Farrokhzad et Nima Yushij, il est également connu pour ses peintures. Sepehri a passé la première partie de sa vie à Kashan, qu’il considérait comme sa ville natale et à laquelle il a dédié le poème صداي پاي آب (Les pas de l’eau). Il était également un grand voyageur. Il a fait de nombreux voyages en Europe et en Afrique, a vécu un an aux États-Unis puis deux en France.

sohrab sepehri_www.PersianCultures.com

Sepehri était aussi l’un des principaux peintres modernistes d’Iran. Connaisseur notamment du bouddhisme, du soufisme et des écoles mystiques d’est ou d’ouest, il a mêlé les concepts de l’Orient mystique à ceux de l’Occident mystique, créant ainsi une poésie à la saveur et à la signature toutes personnelles et inédites dans la littérature persane sous cette forme. Pour lui, les nouvelles formes étaient des moyens de découverte artistique dans l’expression de pensées et de sentiments. Sa poésie est aussi basée sur l’humanité et une profonde croyance en la valeur de l’homme. Pour finir, Sepehri était aussi un amoureux de la nature, dont la contemplation ne le fatiguait pas. La nature est omniprésente dans son œuvre autant poétique que picturale.

Lors de ses voyages à l’étranger, en particulier en Asie de l’Est, Sohrâb découvre le bouddhisme zen, et notamment un enseignement zen fondamental, que l’on retrouve dans les grands courants mystiques selon lesquels le monde et ses composants ne sont pas des choses séparées mais constituent tous ensemble une réalité unique.

Dans les enseignements bouddhistes, c’est sous un arbre que Bouddha a atteint l’illumination (en persan : Derakht-e Tanvir). Il est dit que Sidhartha Gautama, celui qui devint plus tard connu sous le nom de Bouddha, suit diverses voies d’ascèse et d’austérité sans trouver les réponses qu’il recherche, et c’est ainsi qu’il s’installe sous un banyan, faisant le vœu d’y rester jusqu’à découvrir la vérité ultime. Durant sa méditation, les démons viennent le tenter sans cesse, mais échouent. Finalement, Sidhartha atteint l’Illumination et devient Bouddha.

Sohrâb, influencé par le bouddhisme, croit en un lien entre l’arbre et la philosophie persane de l’Illumination (eshrâghi) :

Au soir, quelques étourneaux s’éloignèrent

de l’orbite de la mémoire du pin,

Il en resta la bonté physique de l’arbre,

J’ai senti la bonté de l’illumination

m’éclabousser l’épaule

9 commentaires

  1. C’est sublime Alan,
    Tu vois je vais m’offrir ce livre…
    Je te remercie pour cette découverte et ton article est très bon et bien illustré
    « J’ai senti la bonté de l’illumination, m’éclabousser l’épaule… »
    Mais que c’est beau…
    Merci Alan
    Corinne

    Aimé par 1 personne

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