Série « Spirit & le fugitif » /Carte postale confinement / Belle île et les lumières de Port Coton / Episode 6 / Par Alan Mabden

Après une courte nuit à bord de « Spirit », ancré pour une fois sur la terre ferme, je sortais la tête de mon épais brouillard et me laissais traverser par un beau soleil d’automne éclairant un ciel peint à la Paul Klee. Nous étions hébergés sur un terrain à proximité de Kervilahouen, ce village qui accueilli autrefois dans une « ty mad » (*) le célèbre Claude Monet (*). Là, face à un vent bleu automnal, se dressaient quelques tentes nordiques ainsi qu’une immense yourte vers laquelle je me dirigeais. En ouvrant sa belle porte sculptée à la « Tolkien », je pénétrais dans un immense espace. Là, une dizaine d’hommes et de femmes, de différentes nationalités, installés en cercle et position tailleur fusionnaient dans le grand silence d’une méditation. Au centre, une rustique lampe tempête les hypnotisait d’une vivante flamme. Je rejoignais leur belle osmose ou régnait une force invisible de paix. Au bout d’une vingtaine de minutes, comme sorti d’un nuage d’une infinie bienveillance, nous nous souhaitâmes une belle journée. Une jolie nappe dressée sur deux tréteaux nous présentait un buffet composé de fruits, céréales, pain local et divers produits bio végétariens pour un copieux petit déjeuner. Le groupe était installé depuis fin Août sur ce terrain prêté par des propriétaires qui ne s’en servaient que pendant les vacances d’été. En échange, nous nous engagions à créer une phyto-épuration pour les eaux usées et une installation solaire sur le toit de la « cabane au fond du jardin » destinée à la toilette.

L’association, dirigée par Alexandra et Fred, se préparait à « l’effondrement » en agissant concrètement pour viabiliser des terres d’accueil, de lieux d’autonomie alimentaire pour demain. Belle île était un lieu idéal pour envisager un autre futur. En ces périodes de confinement, avoir cette ouverture vers le large et l’aspect « abri » de l’île leur donnait à la fois une évasion, une protection et aussi une grande source d’inspiration.

Le soir venu, je décidais de lâcher le groupe pour une rando solitaire vers la côte sauvage en direction des aiguilles de Port Coton. Le soleil couchant dessinait un magnifique décor à contre jour. Les étonnants rochers pointus, déchiquetés par l’érosion, créaient un véritable spectacle d’ombres chinoises. Au bord de la falaise, je comprenais pourquoi ils ont inspiré trente-six toiles au peintre Claude Monet

©Alan Mabden / Samedi 21 novembre 2020 / tous droits réservés Pigraï Flair

(*) Monet à Belle île

Le peintre Claude Monet a révélé en quelques toiles célèbres la beauté de ces roches dentelées. Il devait à l’origine séjourner juste deux semaines sur l’île mais fasciné par la beauté des paysages, il restera deux mois. En impressionniste, il travaille dans la nature, face à l’océan, subissant les assauts du vent et de la mer. Monet est comme enivré par la métamorphose permanente du paysage : un paysage de début ou de fin du monde, en fonction de l’éclairage. Les couleurs sont difficiles à rendre sur la toile, les bleus et les verts tranchent avec les tons qui lui sont familiers.

Claude Monet, jeune

Il peint la tempête avec une large touche nerveuse qui choquera les critiques lorsqu’il exposera l’année suivante. C’était ne pas comprendre qu’il les a peints dans des conditions d’affrontements avec les éléments incroyables. En pleine tempête, il se mettait dans des positions physiques très dangereuses. Un pêcheur bellilois nommé Poly l’aidait à arrimer son chevalet et ses toiles avec des cordages et des pierres. Il devait peindre dans les pires conditions. Souvent le vent, les rafales de grêle menaçaient de déchirer la toile. 

(*) Ty Mad, la bonne maison en breton

A côté de cet héritage, de peintures, le peintre a laissé une abondante correspondance adressée à ses amis, ses marchands, mais surtout à sa compagne restée à Giverny. À travers ses lettres, il restitue le mode de vie sur l’île à la fin du XIXe siècle, commentant son séjour dans une auberge de Kervilahouen en compagnie des pilotes et des pêcheurs, la nourriture ou le confort de l’époque, les difficultés d’approvisionnement, les caprices du climat bellîlois et la beauté de la mer par tous les temps. Il se plaît à noter le pittoresque des jours de noces, mais aussi la consternation de tout un village lorsqu’un bateau ne rentre pas un jour de tempête …

Visite de Belle île en vidéo

https://vimeo.com/143380754

9 commentaires

  1. Coucou Alan,
    Suis très fatiguée, journée éprouvante avec mon père très malade (grosse dépression très grave…)
    Je conserve la joie de découvrir ta nouvelle carte-postale pour demain, afin de la déguster dans les meilleures conditions.
    Tout fort
    Corinne

    Aimé par 1 personne

  2. Alan,
    Encore une carte-postale pleine d’intimité et de communion avec l’esprit et les éléments.
    J’aurais bien fait de la lire hier soir.
    La méditation est un bon remède pour faire entrer la paix et l’harmonie en soi, ton texte me rappelle tout cela, et en ce moment j’en aurais bien besoin…
    J’aime aussi beaucoup la partie dédiée à Monet, ces tableaux sont magnifiques, et les commentaires relatifs à sa présence en Bretagne étonnants,
    Je pense notamment à la tempête, ce tableau vibre de toute l’expérience et de la quête de l’artiste pour pénétrer les éléments et les coucher sur sa toile…
    Un bon, beau et réconfortant voyage, dans une Bretagne qui ensorcelle et nourrit.
    Belle journée Alan
    Merci beaucoup pour ta générosité, et pour ta passion.
    Co

    Aimé par 2 personnes

    1. Corinne

      Merci d’avoir pris du temps à me lire malgré tes difficultés du moment. Tu es aussi une personne généreuse dans tes commentaires attentionnés. La méditation m’a aidée à me sortir d’une période très dure de ma vie. Je ne parle pas de ma vie privée sur le blog car je considère qu’il y a là une frontière qui ne peut être franchie que dans le monde réel. Ce qui me plait pourtant dans ce blog, dans ce que j’écris ou dans les échanges avec d’autres par l’écriture, c’est d’aller dans une rencontre qui va au delà de la surface. Bizarrement, les rencontres dans le monde « réel » sont souvent artificielles ou manquent d’intérêt ou clichés. Finalement il est parfois plus facile de s’exprimer par l’écrit nos véritables sensations, émotions, ressentis. C’est ta carte postale dans un musée qui m’a donné envie d’en faire une à mon tour. Maintenant « spirit » est en route à la recherche de mon moi profond et de notre moi collectif à venir (avenir).
      Merci pour ces échanges et pour ce que tu es.
      Alan

      Aimé par 2 personnes

  3. Merci Alan pour le partage de cette suite à tes cartes postales.
    Il faut dire que Belle-Île est très inspirante.
    J’apprécie beaucoup ta vision humaine et avant-gardiste de la vie. Encore une fois nous sommes transportés dans l’univers breton de ton récit, dans lequel tu as su apporter cette petite touche orientale avec la méditation, sans que ça ne dénature l’esprit de ton feuilleton. Au contraire.

    Le coté culturel aussi avec les références à Monnet, ainsi que la présentation que tu as faites apporte également un aspect ludique très appréciable à ce post.

    Ben

    Aimé par 1 personne

    1. Merci Ben. En fait, quand je démarre un épisode de cette série culte 🤣, je me laisse guider par mes pensées et les mots qui arrivent et qui en amènent d’autres. Ce que j’aime dans ces écrits est l’association de pensées intérieures ou de visions sociétales avec la visite d’un lieu naturel et riche de sensations qu’est la Bretagne. C’est aussi l’occasion de faire découvrir des personnalités qui ont vécu dans ces îles ponctuellement ou de façon durable. Je citerai bientôt Sarah Bernard, personne qui a marqué belle île .
      Bella journato!
      Alan

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  4. J’aime vraiment quand tu racontes la Bretagne. Ici, le cours passage
    vers les aiguilles de Port Coton vibre de cette passion qui t’habite lorsque tu l’évoques.
    Et puis la partie sur Monet est fascinante ! Merci pour ce bout d’histoire du célèbre peintre.
    A bientôt Alan

    Aimé par 1 personne

    1. Bonsoir Laurence et merci. Oui, j’ai la chance d’habiter ce beau coin de terre. J’aime particulièrement ces trois îles ou j’ai eu la chance de naviguer. Il y a des couleurs de mer incroyables parfois quand le ciel est bleu et que le soleil donne. Ce bleu émeraude plairait à la peintre que tu est. Quand à Monet, je l’imagine en train de peindre du haut de la falaise face aux rochers de Port Cotton, par grand vent, le chevalet attaché par des cordes au sol. Épique! ;).
      Bonne soirée
      Alan

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