Mon portable vibre. Il est 4H. Encore un moment de chaleur dans ce si bon duvet. Allez, encore 5mn ;)… Je dois partir de ce port avant qu’il fasse jour. Je n’oublie pas que je suis en mode fugitif. J’allume la lumière du coin cuisine et je fais chauffer une bouilloire et une casserole avec du lait d’avoine et des flocons. Je mets le « Dickinson » en route pour réchauffer l’atmosphère. Dernier réconfort avant d’affronter le dehors. Nous sommes début Novembre et ce n’est pas vraiment de la plaisance. Juste ce que vivent au quotidien les professionnels de la mer en cette période… Mon café est passé. Je rempli le Thermos pour le pont tout à l’heure. Je prépare mon porridge avec un soin particulier : graines de courge, de tournesol, de sésame, amandes, cranberries plus un œuf. Ce moment est un vrai rituel pour moi, une belle attention que je donne à mon corps et à mon âme. En plus d’être bon, c’est un plaisir à préparer et ce mélange me donne de l’énergie pour 4-5 heures.
Une toilette rapide dans le « placard », quelques gouttes d’huile essentielle de « Ravintsara » sur le plexus solaire et c’est parti. Là, il faut s’habiller chaudement : sous vêtements polaires, un bon pull marin, un jean serré et puis par dessus tout ça un pantalon coupe vent étanche, une veste de mer et un bon bonnet polaire. Je monte sur le pont, ouvre la housse de bôme, vérifie mes voiles, prépare drisses et aussières. « Spirit » est prêt. Le moteur tourne. Il toussote un peu. J’espère qu’il a pas « pécho » le covid ;). Je me dégage du quai et rentre les aussières et « parbats ». Je file tous feux éteins sur l’eau calme de la rivière d’Auray. Je pense à tous ces « prisonniers(ères) », confiné(e)s dans leurs appartements 😉 J’ai peur pour nos libertés. Ce monde marche sur la tête, éloigné du bon sens qu’avaient nos anciens, marins, paysan(ne)s, artisan(nes). Les révolutions industrielles ont amené en même temps le confort, la modernité et le chaos. On nous annonce un enfer écologique, sanitaire, financier, économique et social. Welcome in Earth!
Étonnamment, sans être dans le déni, je pense à un meilleur avenir pour nos enfants. Je pense que ce sera dur pendant 5 à 10 ans et qu’après le printemps reviendra comme l’écrit l’aminaute Solène. Nous sommes allez trop loin. Il est grand temps de faire une pause. Nous n’avons vraiment pas besoin de tous ces objets…
« Spirit » est fier. Il fend l’eau comme un majestueux dauphin et me conduit vers Le Bono. Nous passons devant « Les jardins de mémoire« ‘ (*), ce magnifique cimetière/arboretum ou reposent de belles âmes. Ce lieu m’émeut pour sa beauté et l’originalité des hommages rendus aux défunts. Certains sont morts jeunes. Je trouve cela injuste. J’espère qu’ils (elles) auront vécus des moments présents intenses. Plus j’avance dans la vie, plus je me dis que le temps est un leurre, que seuls comptent les instants d’infinis.
Je passe sous le pont supendu du Bono (*). Pas une seule âme sur les rives à cette heure matinale. Je pense à un célèbre marin qui repose ici, Bernard Moitessier (voir mon article : https://pigrai.com/2019/02/08/bernard-moitessier-homme-libre/ ). Je repense à sa vie d’homme libre et autonome et à son dernier « combat » pour l’autonomie alimentaire, pour des arbres fruitiers au cœur des quartiers. Je repense à ses refus de gloire et de prospérité, à son absence d’égo. Juste vivre, just be, simplement être. Tel un Bouddha ( बुद्ध buddha « éveillé ») sur un pont de bateau, le célèbre Joshua sur lequel j’ai eu l’immense bonheur de naviguer au large de la Rochelle.
Bernard Moistessier sur le pont de Joshua Pont suspendu du Bono et Joshua amarré
Oui, « s’éveiller » sur un voilier, se réveiller, reprendre contact avec la nature avant de rejoindre « les jardins de mémoire », avant que ce vieux monde moderne et pourtant archaïque s’écroule, avant qu’il ne soit trop tard.
Il est 5 heures, la rivière d’Auray est derrière moi. J’attaque le « jus » des courants qui s’affrontent en sortie de ce magnifique golfe du Morbihan qui compte autant d’îles que de jours dans l’année. Ce Morbihan qui s’ouvre devant moi comme deux mains qui me poussent vers la mer qui m’accueille. Ma joie est immense. Mes poumons explosent d’iode et d’oxygène. Je me sens libre et repense à ces mots de Baudelaire : « Homme libre, toujours tu chériras la mer ».(*) Je passe Méaban. « Spirit » joue avec les vagues comme un cheval ayant retrouvé ses ailes… Prochaine étape : Houat & Hoedic….A bientôt, Alan
(*)L’homme et la mer /Charles Baudelaire
Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer.
Tu te plais à plonger au sein de ton image ;
Tu l’embrasses des yeux et des bras, et ton coeur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.
Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets :
Homme, nul n’a sondé le fond de tes abîmes ;
Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !
Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remord,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
Ô lutteurs éternels, ô frères implacables !
(*) Le pont suspendu du Bono (1837)

(*) Cet ouvrage est l’un des 2 derniers représentants de ce type de construction en France, et à ce titre, est inscrit à l’inventaire des Monuments Historiques. En 2005, la commune qui en a la charge à réuni les fonds nécessaires à la remise en état de ce patrimoine historique, symbole incontournable du village du BONO. Il est interdit à la circulation automobile.
Approuvé par ordonnance royale de Sa Majesté LOUIS PHILIPPE, le 22 mai 1837, l’établissement d’un pont est mis en adjudication. Le 30 décembre 1838, concession en est faite pour une durée de 98 ans, au sieur LE PONTOIS, moyennant la perception d’un droit de passage et le versement d’une subvention de 10 000 F. Après avoir subi une demi-épreuve de charge, l’ouvrage en bois est fini et livré au public, le 1er octobre 1840. Afin de palier les effets néfastes du temps, de nombreuses réparations lui sont prodiguées entre 1859 et 1863.
(*) Les jardins de mémoire

A la lisière d’Auray, les Jardins de mémoire, site cinéraire privé, accueillent les cendres d’un millier de défunts. En pente douce, le terrain plonge vers la rivière d’Auray, où mouillent quelques voiliers. Érables, oliviers, pins parasols, magnolias… 1000 arbres parsèment cette parcelle de 45 hectares. A leur pied, les cendres d’un millier de défunts, de 500 familles. Ces Jardins de mémoire constituent un site cinéraire unique en France.
J’ai lu Moitessier aussi ! Merci Alan. Je sens que cela va me plaire…
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Bonne lecture Régis. Il nous reste l’écriture et la lecture et ça, ils ne pourrons pas nous les enlever 😉
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Alan
Je vais devenir accro à tes escapades, je vais finir par espérer que ce confinement ne se termine jamais.
C’est magnifique tu nous embarques littéralement en mode « le fugitif », il y a toute les recettes du plein bonheur, d’une pleine conscience qui deviennent de véritables pistes aux étoiles.
Merci pour le film sur le site cinéraire, c’est une idée généreuse et pleine de sensibilité, on rêve d’y reposer…
Alan tu es dans la merde…il nous faut la suite maintenant !
Mais tranquille, uniquement comme et quand tu le décideras, je veux que tu arrives à bon port et surtout que tu ne nous bouscules pas « Spirit »
Bon vent
Corinne
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J’adore tes commentaires 😉 . Le pire c’est que j’y prends goût moi aussi. « Le fugitif » a plus d’un plan d’évasion dans son sac et « Spirit » a une âme…
Alan
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Le ciel est devenu rose au lever du jour, juste pour m’avertir que tu passais au fil de l’eau devant chez moi … comme Corinne j’attends la suite de tes aventures … passe du bon temps Alan 😘🌹
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😉 Tu vis dans un petit paradis. Merci pour tes vidéos de nature. Tu évoques le rose d’un lever de soleil. J’imagine bien faire une méditation sur le rocher au bord de l’eau près des cabanes de pêcheurs à proximité des jardins de mémoire.
Bonne journée Swannaëlle
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Profite bien de tes jours dans mon petit paradis Belle journée Alan😘🌹🎶
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Bravo et merci Alan,
avec ce post j’ai pris le grand large avec toi. Ton récit est vraiment très bien construit, c’est simple on s’y croirait.
Les jardins de la mémoire m’ont enchanté, j’en avais entendu parler, mais je n’avais même encore jamais vu de photos ou d’images. J’espère pouvoir prendre le temps de le visiter un jour, si on veut bien nous laisser sortir à plus de 100 bornes sans la tyrannique attestation.
Profites bien de cette excursion, et de ton bel esprit de liberté.
Je te souhaites une bonne soirée
Ben
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Merci Ben pour tes mots et la personne que tu es.
A bientôt sur tes posts.
Alan
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Ton récit est si bien mené que l’on oublie que c’est ton imagination qui porte le texte 🙂
Et puis quelle belle idée ces petites notes en supplément pour découvrir une région !
Quel bel endroit et quelle idée généreuse que ces jardins de Mémoire !
Merci pour ces cartes postales de confinement, c’est une petite évasion fort appréciable en ce moment.
Bonne soirée Alan
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Merci Laurence. Tu sais, parfois l’imagination est plus intéressante que la réalité, surtout en ce moment. Et dans ces moments d’écriture, ou de peinture pour toi, nous pouvons vivre autre chose, quelquechose d’iréel et pourtant fort. Dans la vraie vie, il y a aussi des moments forts mais ils sont peu nombreux et parfois compliqués à mettre en œuvre. L’artiste n’a de limite que son imagination donc l’infiniment grand 😉
Amitiés
Alan
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Thank you Alan for a wonderful adventure. I look forward to its contiuation. 🙏
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