Tout le monde essaie de récupérer Jaurès à des fins politiques. Le plus grand « combat » de cet homme fut d’espérer l’humanité et de maintenir la paix. Paradoxalement, il attira sur lui la haine de tous : les journalistes et surtout Léon Daudet qui écrira dans « L’action française »: « Tuer Jaurès ! », les nationalistes avec leurs appels au meurtre sur leurs affiches, les soviétiques, les catholiques, les marchands d’armes, les anarchistes… S’il fait référence aujourd’hui, c’est pour son idéal humaniste dépassant toutes les frontières, pour son aspiration à une justice universelle. Il s’est toujours opposé à la violence. Regardez le film ci-dessous « Naissance d’un géant » et voyez comme il tente de s’interposer entre les soldats et les grévistes pour éviter un carnage collatéral. A l’assemblée, quelques jours avant sa mort, il met toute son énergie, en vain, pour éviter la première guerre mondiale, qui fut, rappelons le, une véritable boucherie. Rappelons nous aujourd’hui de cela, de nos guerres inutiles, de nos guerres d’égo, pour que son combat d’autrefois percute enfin nos cerveaux et que nous prenions vraiment acte de cette absolue nécessaire fraternité, pour qu’elle se concrétise malgré nos différences culturelles, religieuses, politiques… Plus jamais ça, Plus jamais la guerre… Alan
« La vraie lutte n’est pas entre les Etats, Péguy, mais, dans toute l’Europe, entre la démocratie politique et sociale d’un côté et l’oligarchie rétrograde, capitaliste et militariste de l’autre ! » / Jean Jaurès
Écoutez attentivement chaque phrase de cette chanson de Jacques Brel qui décrit bien la vie de nos aïeux à cette époque
Le 16 août 1892, à Carmaux, 2000 mineurs se révoltent parce que l’un des leurs, Jean-Baptiste Calvignac, élu maire de la ville, a été licencié de la Compagnie des Mines et plus précisément par le marquis de Solages. Jean Jaurès a 34 ans, il a été élu et puis battu. En quelques semaines durant cette grève, Jaurès joue son destin, il sera l’élu des pauvres.
Issu de la petite bourgeoisie paysanne du Tarn, le dirigeant socialiste est né à Castres il y a 160 ans. Agrégé de philosophie, il sera élu député et fondera l’Humanité. Sa trajectoire a marqué de son empreinte la gauche française.
Fondations familiales
Né le 2 septembre 1859 à Castres, au domicile de ses grands-parents maternels, Jaurès est prénommé Auguste Marie Joseph Jean. Le prénom usuel est le dernier, Marie et Joseph sont des signes de la foi catholique des parents et Auguste rend hommage à un aïeul. Un frère, Louis, devait suivre, en 1860, et, en 1862, une sœur, Adèle, qui ne vécut pas longtemps. Ses aïeux étaient établis dans la fabrication ou le négoce de textile. Mais à la suite du partage des héritages et en raison de la crise, ses parents sont devenus des petits notables déclassés. Le père, Jules Jaurès, fit valoir une petite ferme de 6 hectares, la Fédial, à quelques kilomètres de Castres, après s’être essayé à divers métiers.
Le frère du grand-père paternel de Jaurès, négociant fortuné, était le père de deux amiraux, Charles et Benjamin. Ce dernier est député du Tarn en 1871, puis sénateur. Ambassadeur en Russie, il devient ministre de la Marine en 1899. Il joue un rôle d’éducateur politique auprès de Jaurès. Son oncle maternel est aussi militaire. Le frère de Jaurès, lui, deviendra le troisième amiral de la famille, cas unique en France. Sa famille typique du tiers état d’une petite ville de province telle que décrite par Balzac compte des entrepreneurs et commerçants, un oncle percepteur, beaucoup d’officiers ou de sous-officiers. Les deux frères sont poussés par une mère attentive, affectueuse et exigeante. Après l’École navale, Louis connaît une longue et brillante carrière de marin, jusqu’à devenir à son tour amiral.

Etudes
Au collège de Castres, où le jeune Jaurès poursuit ses études grâce à une bourse, ses aptitudes intellectuelles sont repérées par un inspecteur général. Le destin de celui qui ambitionnait alors d’être receveur des postes va basculer. En 1876, il monte à Paris pour préparer le concours de Normale sup. Il est admis premier. En 1881, Jaurès est reçu troisième à l’agrégation de philosophie, derrière Henri Bergson. Professeur au lycée d’Albi puis chargé de cours à la faculté des lettres de Toulouse, il soutient ses deux thèses (1892): « De la réalité du monde sensible » et sa thèse complémentaire, rédigée en latin, « Des premiers linéaments du socialisme allemand ».
Vers un socialisme républicain et universaliste
« Le socialisme français est un socialisme républicain » Ernest Labrousse, historien
La Révolution de 1789 précède et oriente l’organisation du mouvement ouvrier. Quelles que soient ses volontés de construire un monde radicalement différent, celui-ci naît, vit et se développe en se fondant sur ce socle républicain et laïque, legs principal de la « Grande Révolution », mais aussi des révolutions du XIXe siècle, jusqu’à la Commune de 1871. Le combat politique s’organise en complémentarité, mais aussi en indépendance avec le syndicalisme et le mouvement coopératif auxquels nous ajouterions aujourd’hui l’ensemble divers du monde associatif et des organisations non gouvernementales. L’unité socialiste se construit sur cette base.
« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. »
Le jeune député du Tarn est à 25 ans est au début un républicain de centre gauche et ardent défenseur de la République. Il ne se reconnaît pas dans la stratégie de lutte des classes et de violence révolutionnaire du Parti ouvrier de Jules Guesde, à l’époque dominant dans la mouvance socialiste. La révolution prolétarienne lui apparaît comme une forme de tyrannie et d’oppression. Par crainte de la violence, il est très dubitatif sur le recours à la grève. Jaurès se reconnaît dans cette tradition républicaine et utopiste du socialisme français formulée par Louis Blanc, Fourier ou Proudhon qu’il oppose au corpus marxiste de la social-démocratie allemande.
Le général Boulanger, dit «général Revanche», est élu député en 1889 en fédérant tous les déçus de la république, conservateurs, bonapartistes et royalistes, ainsi qu’une minorité de radicaux et de socialistes. Jaurès, battu à Castres, analyse le boulangisme comme une aspiration confuse à un monde meilleur et un acte de désespoir lié à l’impuissance de la politique gouvernementale. Pour Jaurès, la seule réponse consiste à offrir un «idéal lumineux» aux classes populaires. Cet idéal, pense-t-il, sera peut-être le socialisme. Dans un cours de philosophie sur le socialisme donné à la faculté de Toulouse en 1890-1891, il définit le socialisme comme une doctrine justifiant l’intervention de la société dans le cœur de la vie humaine, les « relations de travail », au nom de la vie et de la liberté individuelle et au nom de l’humanité.
La remise en cause de l’ordre colonial
Cet ordre est pourtant longtemps vécu comme substantiel à la République. Jaurès va exprimer sa réprobation sur les violences qui se produisent dans les colonies. Il prend conscience des antagonismes entre les réalités de la domination française et les aspirations des peuples colonisés. En 1896, Jaurès réprouve la politique coloniale parce qu’elle lui apparaît comme la conséquence la plus déplorable de la rapacité du système capitaliste. Jaurès prend acte de l’universalisation du monde, préalable à la constitution d’une humanité vraiment totale.

Très tôt, le socialisme en France s’élargit : lutte des classes, oui, mais aussi aspiration à une justice universelle, d’où l’engagement pour Dreyfus, officier bourgeois pourtant. En 1898, après le «J’accuse…» de Zola, Jaurès intervient à la Chambre pour défendre Dreyfus. Après cette affaire, il prend ses distances par rapport au marxisme. Il réaffirme son ancrage républicain.
« Si Dreyfus a été illégalement condamné, (…), il n’est plus ni un officier ni un bourgeois, il est dépouillé (…) de tout caractère de classe, il n’est plus que l’humanité elle-même (…) »
Un grand pacifiste assassiné

La paix n’est pas pour Jaurès une entente partielle et temporaire entre les États qu’il désigne comme un entre-deux-guerres. Il parle de « paix véritable », de faire du monde un espace de paix totale et durable. Sa foi en l’humanité lui fait tenir sa ligne de conduite jusqu’à sa mort. Il parle de droit international et de désarmement de tous les États pour créer une union totale permettant d’éviter tout conflit mondial. Il s’intéresse à tous les conflits mondiaux, au génocide Arménien, aux guerres des Balkans. Jaurès voit dans les tensions autour de l’Alsace-Lorraine, toujours sous contrôle allemand, dès le début du XXe siècle, une porte ouverte à un conflit de plus grande ampleur. passe des heures à l’Assemblée à tenter de convaincre les parlementaires français du danger et de l’inutilité d’une telle guerre n’apporterait que « massacre, ruines et barbarie » (son dernier discours, le 25 juillet 1914).
« La paix n’est qu’une forme, un aspect de la guerre : la guerre n’est qu’une forme, un aspect de la paix : et ce qui lutte aujourd’hui est le commencement de la réconciliation de demain. » Jean Jaurès
L’opposition à ses idées s’organise, et bientôt, Jaurès se met une très large frange de la population à dos. Les journaux comme Paris-Midi, L’Écho de Paris ou encore Le Figaro l’accusent d’être anti-patriote, pro-germaniste, d’abandonner la nation. Certains voient dans la guerre une bonne solution pour l’avenir de la France avec notamment le spectre de la vengeance de la guerre de 1870 perdue contre l’Allemagne.
Des appels aux meurtres de Jaurès fleurissent sur les affiches, sous les plumes des auteurs nationalistes. Le 23 juillet 1914, Léon Daudet écrit dans L’Action française « Tuer Jaurès ! ». Raoul Villain l’assassine le 31 juillet 1914. Autour du Café du Croissant, juste à la suite de l’assassinat du républicain socialiste, il est même possible d’entendre :
« Jaurès est mort, c’est la guerre ! »
Merci Alan,
Très bon rappel, je ne pensais pas cet homme aussi détesté, comment peut- on appeler à assassiner…10 appels au meurtre !
Je ne connaissais pas la chanson de Brel sur Jaurès, merci pour cette magnifique trouvaille,
bonne journée
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Les humains m’étonneront toujours… 😦
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Bravo Alan, superbe article comme d’habitude.
J’aime beaucoup Jaurès, il fait pour moi partie des plus belles âmes que la France est portée. Ton post est très complet, j’ai appris bien des choses sur cette personnalité. Le film de Arte complète à merveille ta belle présentation.
Comme Corinne je ne connaissais pas la chanson de Brel que j’ai beaucoup apprécié. Merci pour ce
bon moment de culture et d’histoire.
Je te souhaite une bonne soirée
Ben
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Merci Ben pour ton retour. Moi aussi j’ai appris bien des choses sur Jaurès en faisant ce post. Ce qui est surprenant et riche d’enseignements, c’est la haine que suscite de vouloir la paix… Il est difficile de faire entendre raison à des personnes habitées par des dogmes. Elles préfèrent s’entretuer…🤤😟
Le dernier album de Jacques Brel est un pur chef d’œuvre. Les grands auteurs sont immenses avant de partir…
A bientôt cher Ben
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