J’ai mis beaucoup d’années avant de prendre un ticket pour un voyage dans le train H.F.T. Ses wagons remplis de mots noirs et complexes semblaient heurter mes oreilles. Je ne les accrochai pas de peur de prendre froid dans leur sombre humidité. Ce n’est que plus tard que je me suis intéressé à ses concerts, à sa poésie et à la puissance de ses textes. Hubert-Felix est à la fois un un philosophe et un poète. Du désespoir…? Non , il préfère dire de « l’inespoir », un peu genre Camus 😉 Un mec lucide, sans concession sur notre humanité. Un type qui rempli les salles depuis plus de 40 ans sans le renfort des médias (et pour cause ;). Son public est comme lui, pas artificiel, authentique. Ses textes sont impressionnants tant au niveau du fond que de la forme mais ils ont leur mystère, un sens dont parfois seul Hubert-Felix à les clefs, un peu comme le maître Léo Ferré. Thiéfaine est aussi un chanteur engagé sans l’étiquette. Médiocratie, Karaganda, Annihilation… sont autant de textes sans concession sur le pouvoir politique, ses dérives et sa violence avec son point culminant la dictature. Avec le temps, il s’est assagi mais reste toujours dans l’exploration des profondeurs de son âme et vigilent sur les risques de l’aliénation de l’humain. Si je décide de publier un article sur Hubert Félix Thiéfaine, ce n’est pas par hasard. C’est parce que je le considère à sa manière comme un lanceur d’alerte. C’est aussi pour la qualité de sa poésie et même si ce n’est pas son univers noir que je préfère, je sais déceler derrière son regard perçant le vert de l’espoir et son humanité profonde. Alan

« Rares sont les représentants de la chanson ou du rock français dont les textes appellent une analyse fouillée, sur le plan du style ou des procédés d’écriture bien entendu, mais aussi et peut-être surtout sur le fond. Thiéfaine est incontestablement de ceux-là. La quantité vertigineuse de références historiques, scientifiques, mythologiques, religieuses, philosophiques, littéraires ou artistiques que l’on trouve dans son œuvre confère à celle-ci une telle densité conceptuelle, sans pour autant faire la moindre concession quant à l’exigence poétique, qu’il nous a semblé légitime de proposer à partir de ces références quelques pistes d’analyse….Hubert seul possède les clés, celles tout au moins que son inconscient a bien voulu lui laisser. Chacun projette sur ses textes ses propres perspectives d’interprétation et aucune n’est plus légitime ou plus « vraie » qu’une autre. Le meilleur moyen de détruire le charme et d’affadir la puissance évocatrice des images poétiques est de laisser croire que tout procèderait d’un encodage qu’un quelconque « service du chiffre » serait chargé de percer à jour. » Laurent Van Elslande
« Les poètes que je préfère disent qu’il faut laisser les mots venir, que ce n’est pas à nous d’aller les chercher. Il faut laisser les mots se débrouiller » / Hubert Félix thiéfaine
Annihilation
Qu’en est-il de ces heures troubles et désabusées
Où les dieux impuissants fixent la voie lactée?
Où les diet nazi(e)s s’installent au Pentagone
Où Marilyn revêt son treillis d’Antigone?
On n’en finit jamais de r’faire la même chanson
Avec les mêmes discours les mêmes connotations
On n’en finit jamais de rejouer Guignol
Chez les Torquemada chez les Savonarole
Qui donc pourra faire taire les grondements de bête
Les hurlements furieux de la nuit dans nos têtes?
Qui donc pourra faire taire les grondements de bête?
Lassé de grimacer sur l’écran des vigiles
Je revisite l’Enfer de Dante et de Virgile
Je chante des cantiques mécaniques et barbares
A des poupées Barbie barbouillées de brouillard
C’est l’heure où les esprits dansent le pogo nuptial
L’heure où les vieux kapos changent ma pile corticale
C’est l’heure où les morts pleurent sous leur dalle de
granit
Lorsque leur double astral percute un satellite
Qui donc pourra faire taire les grondements de bête
Les hurlements furieux de la nuit dans nos têtes?
Qui donc pourra faire taire les grondements de bête?
Crucifixion avec la Vierge et dix-sept saints
Fra Angelico met des larmes dans mon vin
La piété phagocyte mes prières et mes gammes
Quand les tarots s’éclairent sur la treizième lame
On meurt tous de stupeur et de bonheur tragique
Au coeur de nos centrales de rêves analgésiques
On joue les trapézistes de l’antimatière
Cherchant des étoiles noires au fond de nos déserts
Qui donc pourra faire taire les grondements de bête
Les hurlements furieux de la nuit dans nos têtes?
Qui donc pourra faire taire les grondements de bête?
Je dérègle mes sens et j’affûte ma schizo
Vous est un autre je et j’aime jouer mélo
Anéantissement tranquille et délicieux
Dans un décor d’absinthe aux tableaux véroleux
Memento remember je tremble et me souviens
Des moments familiers des labos clandestins
Où le vieil alchimiste me répétait tout bas:
Si tu veux pas noircir, tu ne blanchiras pas
Qui donc pourra faire taire les grondements de bête
Les hurlements furieux de la nuit dans nos têtes?
Qui donc pourra faire taire les grondements de bête?
Je calcule mes efforts et mesure la distance
Qui me reste à blêmir avant ma transhumance
Je fais des inventaires dans mon Pandémonium
Cerveau sous cellophane coeur dans l’aluminium
J’écoute la nuit danser derrière les persiennes
Les grillons résonner dans ma mémoire indienne
J’attends le zippo du diable pour cramer
La toile d’araignée où mon âme est piégée
J’attends le zippo du diable pour cramer
La toile d’araignée où mon âme est piégée
Qui donc pourra faire taire les grondements de bête
Les hurlements furieux de la nuit dans nos têtes?
Qui donc pourra faire taire les grondements de bête?
Qui donc pourra faire taire les grondements de bête
Les hurlements furieux de la nuit dans nos têtes?
Qui donc pourra faire taire les grondements de bête?
Qui donc?Album : Homo Plebis Ultimae Tour
Biographie
Né à Dole (Jura) le 21 juillet, il est le 5ème de six enfants. Son père pratique le théâtre amateur et sa mère l’initie à la chanson ; HFT leur rendra hommage en 2006 avec une chanson intitulée ‘When Maurice meets Alice’. De 1061 à 1965, il est en pension dans un petit séminaire ; premières chansons, premiers groupes… ; HFT envisage de devenir chanteur.
« J’ai commencé très tôt, quand j’étais en pension en cinquième, dans un petit séminaire, puis chez les jésuites, à Dole. En classe, on m’avait mis à côté d’un gars qui avait tous les disques yéyés. On a constitué un petit groupe, les Caïd Boys, avec lequel on reprenait “Kili Watch” de Johnny Hallyday, des trucs comme ça. Après, j’ai joué avec les Squelettes, mais écrit à l’anglaise, “Skelets”. On avait de vrais instruments, je travaillais la guitare planqué dans un placard, pendant les récrés. On avait droit à des leçons d’harmonium, mais la guitare, c’était interdit, il fallait se cacher. Du coup, moi qui voulais être missionnaire ou pape, je me suis dit que chanteur m’irait plutôt mieux » H.F.T/Interview Rolling Stones
En 1971, il fini ses études secondaires à Dole. Il obtient le baccalauréat (option latin/grec) puis fait des études de droit et de psychologie à la faculté de Besançon. En 1972, sa mère décède. HFT, sac à dos et guitare, s’installe à Paris où il survit en enchainant les petits boulots. En 1973, renonçant à tout compromis, il décide de se consacrer exclusivement à la chanson ; création de son premier spectacle, intitulé Comme un chien dans un cimetière, dans lequel apparaissent déjà des titres comme ‘je t’en remets au vent’, ‘Vendôme Gardenal Snack’, ‘la dèche, le twist et le reste’ ou encore ‘le chant du fou’. Suite de sa biographie : https://www.thiefaine.com/biographie/

« Un jour, j’étais au pied du Sacré-Cœur, devant un café, je me souviens d’avoir pris des notes à cet endroit-là, et ç’a été comme une illumination : j’avais fini ma chanson. En même temps, j’avais commencé une histoire, j’avais compris quelle pouvait être mon écriture, comment je pouvais créer quelque chose de nouveau. Non seulement je ne voulais pas faire du Ferré, mais je voulais changer quelque chose dans la chanson, ne pas refaire ce qui avait déjà été fait »

Ma mémoire joue sur les reflets
Des étoiles mortes au firmament,
Des regards aveugles et muets
Dans l’immobilité du temps.
L’aubépine se prend pour la rose
Et l’idiot devient Président,
Les naïades se métamorphosent
Mais le passé reste au présent.
Karaganda
Brumes noires sur l’occident, murmures de rêves confus
Barbares ivres de sang, vampires au coeur fondu
Qui marchent lentement au bord des avenues,
Des mondes agonisants, des déserts corrompus
ça sent la chair fétide, le rat décérébré
Le module androïde, le paradoxe usé
Le spectre de mutant au cerveau trafiqué
Qui marche en militant sur nos crânes irradiés.Hubert Flélix Thiéfaine (Karaganda (Camp 99)
Karaganda (camp 99) /Live symphonique 2015
KARAGANDA (Camp 99)
Des visages incolores, des voyageurs abstraits
Des passagers perdus, des émigrants inquiets
Qui marchent lentement à travers nos regrets
Nos futurs enchaînés, nos rêves insatisfaits
Fantômes aux danses astrales, aux rhapsodiques pleurs
Visages camés bleuis graffités par la peur
Qui marchent lentement vers l’incinérateur
Vers la métallurgie des génies prédateurs
C’est l’histoire assassine qui rougit sous nos pas
C’est la voix de Staline, c’est le rire de Béria
C’est la rime racoleuse d’Aragon et d’Elsa
C’est le cri des enfants morts à Karaganda
Brumes noires sur l’occident, murmures de rêves confus
Barbares ivres de sang, vampires au coeur fondu
Qui marchent lentement au bord des avenues,
Des mondes agonisants, des déserts corrompus
ça sent la chair fétide, le rat décérébré
Le module androïde, le paradoxe usé
Le spectre de mutant au cerveau trafiqué
Qui marche en militant sur nos crânes irradiés
C’est l’histoire assassine qui rougit sous nos pas
C’est la voix de Staline, c’est le rire de Béria
C’est la rime racoleuse d’Aragon et d’Elsa
C’est le cri des enfants morts à Karaganda
Des visages incolores, des voyageurs abstraits
Des passagers perdus, des émigrants inquiets
Qui marchent lentement à travers nos regrets
Nos futurs enchaînés nos rêves insatisfaits
Peuples gores et peineux, aux pensées anomiques
Nations mornes et fangeuses, esclaves anachroniques
Qui marchent lentement sous l’insulte et la trique
Des tribuns revenus de la nuit soviétique
C’est l’histoire assassine, qui rougit sous nos pas
C’est la voix de Staline, c’est le rire de Béria,
C’est la rime racoleuse d’Aragon et d’Elsa(*)
C’est le cri des enfants morts à Karaganda
Album : Stratégie de l’inespoir

(*) Au fil des années, mis au courant de la répression stalinienne par l’intermédiaire d’Elsa Triolet, les positions d’Aragon évoluent, mais il préfère se taire que porter tort à son camp. Son journal n’aborde pas de front les questions du stalinisme dans ces années. En 1956, il ne prend pas position sur le « rapport Khrouchtchev », se tait sur les événements de Pologne, comme sur la répression des insurgés de Budapest, souscrivant, par son silence, à la thèse officielle de son Parti, selon laquelle l’insurrection hongroise serait le fait de la bourgeoisie et de l’aristocratie et aurait été matée par les ouvriers avec le soutien de l’Armée Rouge. Ces événements provoquent, entre autres, l’éclatement du Comité national des écrivains, que quitte Vercors. C’est sur le plan littéraire, dans ce qu’on peut considérer comme son autobiographie poétique, Le Roman inachevé, qu’Aragon abordera, la même année, la souffrance personnelle suscitée par les révélations et les désillusions politiques de cette année terrible :
« Mille neuf cent cinquante six comme un poignard sur mes paupières ». Aragon
Nouvel Album / Stratégie de l’inespoir
« L’inespoir c’est l’absence d’espoir, et par extension l’absence de désespoir. Ça nous donne un no man’s land où on n’a pas à chercher cette illusion, et où l’on est parfaitement lucide. »
