Dossier / Le transhumanisme

Nous sommes à un tournant de l’humanité. Par notre puissance et nos connaissances, nous sommes en mesure de modifier profondément la nature de ce qu’on nomme « l’humain ». Le débat sur le transhumanisme est à la fois passionnant et flippant. Pour y voir plus clair, j’ai tenté une sorte de synthèse de différentes informations glanées sur la toile pour constituer un dossier. Contrairement à beaucoup d’articles que je publie et que vous pouvez lire en moins de 5mn, ce document nécessite de s’y attarder car riche en informations (c’est du lourd!). Il faut distinguer l’apport technologique pour soulager l’homme de ses souffrances, du transhumanisme qui peut s’assimiler à une nouvelle religion ou une vision qui détruit les anciennes croyances et dont l’objectif est clairement de créer une nouvelle espèce H+ 2.0 dotée de l’immortalité si bien prêchée dans les évangiles et révélations anciennes.

Le transhumanisme est un courant de pensée né dans les années soixante de la nouvelle gauche et le mouvement des droits civiques, et de la contre-culture beatnick. Le terme a été forgé dans les années 40 par Julian Sorell Huxley https://iatranshumanisme.com/2015/02/17/julian-huxley-le-transhumanisme-1957-2/, Avec ce mouvement, il s’agit d’en finir avec la maladie, le vieillissement, la mort et les limites. L’homme peut désormais prendre en main son évolution et se transformer, en modifiant sa conscience, ses perceptions, ses facultés, en « s’augmentant ». Cette augmentation sollicite la médecine et ses dispositifs, biologiques, génétiques, neurologiques, cognitifs, auxquels il faut ajouter l’informatique et la robotique. Qu’il s’agisse de rendre la vue à une personne non voyante, de faire marcher un homme paralysé avec des prothèses animées via un processeur ou encore de stimuler le cerveau pour lutter contre la maladie de Parkinson, les travaux se multiplient dans de nombreux domaines pour améliorer les conditions de l’Homme.

Ray Kurzweil

Si l’on parle tant, aujourd’hui, du transhumanisme sous toutes ses formes, c’est d’abord à cet homme qu’on le doit. Raymond Kurzweil, directeur de l’ingénierie chez Google, affirmait il y a quelques années que d’ici 2030, le cerveau de l’homme serait directement connecté à Internet afin d’avoir accès à une quantité phénoménale d’informations. La maison-mère de Google, Alphabet, a fondé en 2013 la société Calico dont l’objectif est de plancher sur le ralentissement du vieillissement et des maladies associées. Le but ultime : l’immortalité ou permettre aux humains de vivre aussi longtemps qu’ils le souhaitent.

Ray Kurzweil a inventé la première machine pouvant lire du texte imprimé pour les aveugles, le scanner à plat, un synthétiseur de musique capable de reproduire le son d’un piano à queue. Il réfléchit à l’intelligence artificielle depuis cinquante ans. Dans son livre ‘The Age of Intelligent Machines’ (1990), il a prédit l’ubiquité de l’Internet et l’avènement des objets mobiles. Son best-seller de 2005, ‘The Singularity is Near’, parlait d’intelligence artificielle et du futur de l’humanité.

Les admirateurs de Ray Kurzweil le décrivent comme “l’ultime machine à penser” et “l’héritier légitime de Thomas Edison”. Le cofondateur de Microsoft, Bill Gates, l’a appelé “le meilleur que je connaisse pour prédire le futur de l’intelligence artificielle”. Pour ses détracteurs, il est “l’un des plus grands bonimenteurs de l’époque”, et “un dingue narcissique, obsédé par la longévité”.

Ce courant de pensée est notamment partagé par Elon Musk, fondateur de Tesla, de Space X et de Neuralink

« Si vous ne pouvez battre la machine, le mieux est d’en devenir une  »

Elon Musk en 2017

L’éthique & la philosophie

Derrière ce discours de surface des transhumanistes, très technophile, on peut en entendre un autre. S’il faut améliorer l’homme, c’est qu’il n’est pas si bien que cela, cet homme ! La barbarie rencontrée au XXe siècle a des effets jusqu’à nous : l’homme, capable du pire, semble ne plus pouvoir être le sommet de la création tel que le christianisme puis les humanistes l’ont défendu. Il se pourrait qu’il y ait un certain ressentiment derrière cette méfiance du corps, de ses limites, du temps et de notre monde. Vouloir explorer Mars, n’est-ce pas aussi vouloir quitter le sol terrestre ? N’y a-t-il pas une tendance lourde à faire davantage confiance aux machines qu’à l’homme ? Et cette confiance, n’est-ce pas aussi une croyance ?

https://youtu.be/I0k0xzFWHYU

Pourtant, notre vieil humanisme a encore des ressources. En effet, depuis Aristote, « améliorer l’homme » cela existe, et cela s’appelle la pratique des vertus. Se conduire vertueusement, quand on est un homme, c’est honorer l’humanité. Quant à l’exercice de la raison, Kant a montré qu’il ne se réduisait pas à la question de la science « Que puis-je connaître ? », mais qu’il y avait un autre type de rationalité nécessaire, non technique, mais moral : « Que dois-je faire ?« . Ce que révèle le transhumanisme, c’est que les questions posées par la technique ne peuvent se résoudre par la technique. Heidegger l’avait montré de façon magistrale. En affirmant que l’essence de la technique n’est pas technique, mais métaphysique, il nous disait que ce sont les questions les plus importantes de nos vies qui sont en cause. La technique veut-elle que l’homme soit ? Et aujourd’hui, la question se déplace vers nos enfants : si nous voulons que l’homme de demain soit, quelles vertus devons-nous mobiliser pour que sa vie soit possible ? Les humanistes du XVIe siècle, déjà, affirmaient que si ce qui fait l’homme, c’est sa capacité inventive, c’est aussi la capacité de retenir, de suspendre sa puissance.

On désigne par humanisme le fait de mettre au premier plan et respecter l’homme dans son être. A ce titre, le transhumanisme est un dérivé de l’humanisme, car il ne veut pas seulement préserver l’être de l’homme, mais l’augmenter, le transformer. En plaçant la technique au cœur de la culture, l’humanisme classique est bouleversé, mais pas désavoué. Le versant éthique de l’humanisme prône la dignité et la valeur de tous les individus humains, ce qui implique une égalité sociale. Une partie des transhumanistes se place dans une démarche élitiste et libertarienne, qui va à l’encontre de l’égalité. Celle-ci demande des régulations et des redistributions, car la vie économique et sociale telle qu’elle est actuellement augmente sans cesse les inégalités. L’utilisation de techniques d’amélioration réservées à certains pourraient encore les aggraver.

« Si l’être humain « est exempté des signes du vieillissement, ce monde ressemblerait extérieurement au nôtre. Le télescopage des générations ne sera guère bouleversant dans un contexte où l’on s’habitue à perdre les repères que dictaient dans les sociétés archaïques les structures de la parenté » Jean-Michel Besnier, professeur d’Université à Paris-Sorbonne.

L’idée de post-modernité nous amène à celle de post-humanisme. La différence entre transhumanisme et post-humanisme est assez nette. Tous deux valorisent l’impact des nouvelles technologies sur l’humain et sur son environnement. Cependant, le transhumanisme est nettement optimiste et le post-humanisme plutôt pessimiste. Le terme post-humanisme fait référence à un post-humain ayant éventuellement quitté son statut peu enviable d’humain. Il est aussi lié au pessimisme de la post-modernité, né à la suite des grandes tragédies du XXe siècle qui ont produit un scepticisme face aux thèses humanistes et universalistes des Lumières.

L’homme « augmenté »


La frontière est ténue entre ce qui relève du soin, et ce qui relève d’autre chose. Si les implants qui servent à faire entendre les sourds lui font entendre des sons que le commun des mortels n’entend pas, jusqu’où est-ce encore de la médecine ? La psychochirurgie permet d’opérer des personnes souffrant de dépressions sévères mais dans certains pays on peut opérer des personnes toxicomanes pour éviter qu’elles ne dérangent l’ordre établi. Est-ce encore de la médecine ?L’homme « augmenté » est déjà une réalité en marche. Il suffit de voir ce qui se passe dans les laboratoires américains. Mais il est nécessaire de bien distinguer entre les progrès indéniables dans les champs médicaux, scientifiques, etc. et la vision transhumaniste : on passe d’une question de progrès de l’espèce humaine à la question de changement d’espèce.

https://youtu.be/Sv9r3RL4Xkw

La génétique

Le décodage des gènes permet une meilleure compréhension, mais aussi la manipulation, de notre programme génétique – souvent au moment « propice » de la naissance. La thérapie génique peut ensuite se développer tout au long de la vie, puisque notre corps se renouvelle en permanence.

La biologie moléculaire et les nanotechnologies

La qualité de notre compréhension de la cellule, les nanotechnologies, nous permettent de faire des réglages fins sur le fonctionnement de cette cellule, voire demain de la réparer, la rendre immortelle, etc. On utilise biologie et chimie pour travailler sur le fonctionnement de la cellule – cellule du corps pour vivre plus longtemps, mais aussi cellule du cerveau pour rendre les gens plus heureux, réfléchir plus vite… Les nanotechnologies nous permettent de rajouter, de greffer au corps humain des prothèses de toutes dimensions. Prothèses de remplacement d’abord, mais aussi de fonctionnement, avec des yeux qui voient plus loin, ou des oreilles qui entendent mieux.

L’intelligence artificielle

Le scénario rêvé de certains est le suivant : on complète le cerveau avec un petit ordinateur, qui finit en fait par être plus intelligent que nous. Progressivement, on greffe de la mémoire, puis l’ordinateur devient autonome, fait quelques raisonnements et finalement l’essentiel se fait par lui. À la fin, on le débranche – et tout ce que l’on est, est passé de son côté ! Il ne s’agit donc plus d’une augmentation, mais d’un changement plus radical.

La robotique nanomoléculaire

Dans le haut lieu actuel du transhumanisme, lors d’une interview avec la CNN, la Singularity University, des scientifiques ont déclaré que tout le monde, bientôt, pourrait bricoler ses propres êtres vivants. Utiliser les mécanismes élémentaires du vivant comme des cubes de Lego, cela s’appelle la robotique nanomoléculaire à base d’ADN : on se dit juste que ces molécules qui ont des propriétés amusantes d’auto-assemblage. Le vivant comme terrain de jeu est déjà une réalité.

« Faire de nous des souris de laboratoire, c’est considérer que l’homme est devenu un objet fini dont on comprend l’ensemble des rouages. »

Aux États-Unis, les transhumanistes se reconnaissent par le signe H+. Le fantasme du robot anthropomorphe rapproche l’homme de la machine et la machine de l’homme, ce qui est une double erreur. L’homme est bien plus qu’une machine. Le robot superperformant, avec des puissances physique, intellectuelle et cognitive, supérieures, n’est donc pas un idéal. L’homme n’est pas non plus un idéal pour la machine – il est nécessaire de garder une bonne séparation des espèces. On rêve de faire des robots qui ressemblent à des hommes à s’y méprendre, mais il faut savoir où les machines sont utiles. Quand il s’agit de porter des poids, de jouer aux échecs, la machine nous a déjà dépassés et c’est très bien. Mais quand il s’agit de nous faire croire avec des simulations que la machine a des émotions, c’est un leurre, et là il y a un danger. La réconciliation passe par une séparation nette des espèces, qu’il faut arriver à conserver pour éviter l’angoisse.

La dualité corps-esprit & la peur de la mort

Les transhumanistes défendent une vision simpliste de l’homme, dans une dualité radicale entre corps et esprit : un corps, mauvais, corrompu et décomposable, retiendrait l’esprit et l’empêcherait d’être immortel. Toutes les découvertes scientifiques depuis les trente dernières années confirment pourtant ce que nous dit notre bon sens : cette dualité ne correspond pas à notre réalité.

La peur de la mort et la mésestime du corps fondent deux chemins transhumanistes : l’uploading [“téléchargement”, ndlr] de l’esprit et la quête de l’immortalité. Dans les écrits des transhumanistes, on trouve un vrai mépris du corps. Il nous ralentit, il se décompose.

« J’ai honte de la fragilité de mon propre corps devant la perfection des objets que j’ai fabriqués » Günter Anders

À partir de là, l’envie se fait sentir de sortir de la condition de corps carboné avec sa chimie organique et toute sa faiblesse, ou de l’améliorer suffisamment — en fait, le bouleverser — pour être immortel. Ce sont deux points de chute qui se rejoignent. Dans un cas, il s’agit de maîtriser la chimie organique pour devenir immortels par remplacement permanent des éléments défaillants. Dans l’autre, cela va encore un cran plus loin. Ray Kurzweil imagine que nous mettions notre processus cognitif sur un ordinateur pour vivre mieux. Je me mets sur une machine, je fais une copie exacte du processus cognitif qui est en train de se produire, puis je laisse vivre la copie de façon autonome. C’est très court.

Notre compréhension du vieillissement progresse. Nous allons faire des progrès extraordinaires. Mais dès que l’on prend un peu de recul, on ressent l’extraordinaire complexité qui est encore devant nous. Le fait de voir des parcelles de la vie est très différent de la maîtrise de l’ensemble. Ce n’est même pas un problème d’orgueil, mais plus de mésestime de ce qu’est un système complexe et de toutes les relations, car on en est au tout début. Dans chaque cellule par exemple, des centaines de milliards de réactions se produisent chaque seconde.

Dans la vision de l’uploading, d’autre part, le corps n’est qu’un substrat exécutant un processus d’ordre supérieur qui correspond à la fois à la pensée, à la conscience, à la vie. Or ce que nous sommes dépend de notre corps.

Si nous nous faisons un corps différent, nous serons des êtres totalement différents.

Cette idée que nous ne dépendons pas du substrat est une idée fausse. À titre d’illustration très concrète, on peut penser que, si on arrivait à capturer un processus cognitif et si on le faisait tourner sur un ordinateur — en admettant que l’on ait réussi à capturer un morceau de conscience —, ce morceau d’esprit se retrouvera dans un trou noir et il faut reconnaître qu’il n’est pas très excitant d’imaginer qu’il sera nourri avec des chaînes de télévision. L’interaction entre le corps et l’esprit est fondamentale.

francisco Varela

Francisco Varela, scientifique bouddhiste, parle même de « corporéité de l’esprit », en expliquant que le processus de cognition ne peut pas être séparé de la perception, de l’expérience que l’on fait. Avec de nombreux autres partisans du concept de l’ « énaction » (théorie selon laquelle le connaissant et le connu se déterminent l’un l’autre) ou d’autres scientifiques tels qu’Antonio Damasio, il dénonce l’erreur naïve et fondamentale de  dualité.

Le peu de choses que l’on sait sur le cerveau montre par exemple un vrai continuum. Alain Berthoz, au Collège de France, le montre bien, sur la vision : il y a un continuum entre perception, réflexion et décision. Ce serait très arbitraire de dire que l’œil est une caméra, le nerf optique une fibre, et derrière, la décision. Le traitement de l’information et la décision commencent en réalité très tôt. Bien malin qui pourra saisir ce moment !

L’individualisme transhumaniste

Les transhumanistes sont guidés par deux choses : la peur de la mort et l’obsession de la performance. Dans une vision absolument individualiste de ce que sont l’homme et de la société, la mort est en effet quelque chose d’absolument épouvantable, une espèce de grande obsession. Ces deux objectifs laissent peu de place à une vision altruiste de ce que l’on est.

Larry Page, fondateur et PDG de Google, a donné en 2010 sa définition du bonheur, à la base de la vision transhumaniste. Il s’agit de maximiser les expériences que l’on a quand on est sur terre ! Raisonnement d’informaticien. On est dans un espace et il faut maximiser les sensations produites par l’exploration de cet espace. Larry Page voudrait commencer par créer un assistant dans l’exploration, avec un avatar, dans le cloud, qui nous guiderait. À partir du moment où l’on définit ainsi le bonheur et l’idéal humain, on est très susceptible d’apprécier le discours transhumaniste. Si mon bonheur, c’est cent ans d’expérience, mille ans d’expérience seront encore meilleurs.

« La faiblesse et le manque en nous sont un moteur qui nous conduit à construire des choses merveilleuses. »

C’est à l’opposé du bonheur conçu comme dans les relations d’amour. Elles sont d’autant plus puissantes qu’elles se construisent dans une découverte de l’autre avec ses forces et ses fragilités. En faisant de moi un robot inoxydable, la probabilité que je devienne totalement inapte à créer cette relation d’amour avec l’autre est forte ! La faiblesse et le manque en nous sont un moteur qui nous conduit à construire des choses merveilleuses. Il n’est pas évident que l’homme « augmenté » soit capable de vivre le passage à l’accélérateur ++.

Cette vision extrêmement réductrice correspond bien à cette espèce d’illusion postmoderne individualiste d’un homme qui a perdu ses repères. Ce discours touche les gens. Si on a une vision individualiste, on s’y retrouve très vite. Étape par étape, on se sent attiré par cet idéal, dans le pire des cas mortifère. Or c’est quand même l’amour des uns pour les autres qui est l’expérience la plus forte, la source de bonheur la plus palpable pour l’être humain.

D’un point de vue scientifique, l’homme a une capacité naturelle, grâce aux neurones-miroirs, à éprouver les émotions de la personne en face de lui. Nous sommes construits ainsi. Nous sommes fabriqués pour aller à la rencontre de l’autre. Il s’agit d’une partie de nos neurones que l’on active pour sentir ce qu’est en train de faire l’autre. Les découvertes des vingt dernières années nous montrent que nous sommes des animaux relationnels.

Si je crée une nouvelle espèce, vais-je garder cette empathie ? Et une société peut-elle fonctionner sans cette empathie ?

L’empathie naturelle est rompue par la course à l’efficacité, elle-même vectrice d’inégalité. L’équilibre de la société fonctionne sur une distribution normale de la différence, qui forme un tout que l’on apprend à vivre. Si le progrès transhumaniste se réalisait, comment l’homme ancien pourrait-il vivre en harmonie avec l’homme transhumaniste, qui aurait des capacités tellement supérieures ? Même s’il ne serait pas supérieur en bien des aspects, il faut bien se poser la question de l’inégalité physique que cela introduirait, en raison de l’inégalité d’accès à ces technologies.

De manière très concrète, la question se pose déjà avec l’arrivée ou le retour très visible de l’eugénisme. Avant d’arriver à faire un homme nouveau, il y a en effet, de manière bien plus concrète, l’utilisation de la génétique, le séquençage et la manipulation génique, ces outils pour sélectionner et améliorer. Les questions éthiques sont fortes. Elles touchent là encore à l’empathie, à la solidarité, à la vie. La vision transhumaniste du progrès scientifique se heurte à d’indéniables barrières de complexité. Aujourd’hui, la prévision météorologique est un excellent exemple de barrières de complexité, parce que l’on a beaucoup d’expérience dans ce domaine. Il y a quelques décennies, les scientifiques nous promettaient des merveilles, avec la nouvelle puissance de nos ordinateurs. Les progrès ont été fulgurants. Mais on a rapidement compris que les interactions entre les molécules de l’atmosphère étaient tellement complexes que chaque modèle devenait très rapidement un peu faux, puis très faux — par nature ! Finalement, c’est une sorte de théorème d’incomplétude, comme en arithmétique. La maîtrise de la complexité n’est donc pas une question de puissance de calcul. Pour prévoir, il faut être capable de maîtriser la complexité et cette capacité est parfois si proche de zéro qu’il est raisonnable de dire qu’elle est impossible.

La thèse de la singularité technologique de Kurzweil est probablement exacte, en ce sens que la puissance de calcul des ordinateurs aura bientôt dépassé celle du cerveau humain. Le problème, d’une part, est qu’une infinité d’enjeux ne relèvent pas de la pure question de puissance de calcul. D’autre part, même une puissance de calcul supérieure à la nôtre sera sans doute encore loin de pouvoir dépasser les barrières de complexité qui se dresseront face à elle.

Le parti transhumanisme

La relation étroite du transhumanisme avec l’univers marchant et plus particulièrement les « gafa » doit nous mettre la puce à l’oreille. Le transhumanisme est étroitement lié au marché et pousse à la consommation de produits technopharmacologiques. C’est le côté idéologique du transhumanisme qui n’est en rien négligeable. L’idéologie transhumaniste met en avant un idéal valorisé d’augmentation de l’humain pour favoriser une pratique toute différente liée à des intérêts économiques : augmenter la vente des technologies de pointe. « L’utopie du transhumanisme ne porte pas sur l’humain, mais sur le marché. Il le fait pénétrer dans des secteurs où il n’a pas encore pu pénétrer, le corps ». (Hunyadi Mark, Interview sur France Culture, 09/10/2018). Le transhumanisme agite des promesses qui font acheter.

Le transhumanisme s’inscrit complètement dans l’idéologie néolibérale de transgression des limites morales traditionnelles. Le néolibéralisme vise l’augmentation des droits individuels et la libéralisation permanente des mœurs, ce qui a pour conséquence une dissolution des valeurs traditionnelles, une transformation sociale profonde. L’idéologie néolibérale sape un certain nombre de bases culturelles des communautés traditionnelles, sans pour autant en évaluer les conséquences ni préciser le but poursuivi. Les options politiques volontiers libertariennes des transhumanistes méconnaissent les effets sociaux néfastes de la compétition et de la concurrence entre groupes sociaux et entre individus.

Zoltan Istvan, candidat à l’élection présidentielle aux USA pour 2016, en parlant des possibilités techniques permettant de changer de genre, de race, de morphologie, des manipulations génétiques ou du clonage, annonce « que chacun s’en servira s’il veut ». Une telle attitude renvoie à un individualisme absolu faisant fi du collectif, thème caractéristique du néolibéralisme, ici poussé vers l’extrême.

Zoltan Istvan a créé en 2014 un parti Transhumaniste. La plateforme électorale du parti transhumaniste est la suivante :

1) Implement a Transhumanist Bill of Rights mandating government support of longer 
lifespans via science and technology.
2) Spread a pro-science culture by emphasizing reason and secular values.
3) Create stronger government policies to protect against existential risk (including artificial intelligence, plagues, asteroids, climate change, and nuclear warfare and disaster).
4) Provide free education at every level ; advocate for mandatory preschool and college education in the age of longer lifespans.
5) Create a flat tax for everyone.
6) Advocate for morphological freedom (the right to do anything to your body so long as it doesn’t harm others).
7) Advocate for real-time democracy using available new technologies.
8) End costly drug war and legalize mild recreational drugs like marijuana.
9) Create government where all politician’s original professions are represented equally (the government should not be run by 40% lawyers when lawyers represent only 10% of the country’s jobs).
10) Significantly lessen massive incarcerated population in America by using innovative technologies to monitor criminals outside of prison.
11) Strongly emphasize green tech solutions to make planet healthier
12) Support and draft logistics for a Universal Basic Income
13) Reboot the space program with significantly increased government resources
14) Develop international consortium to create a « Transhumanist Olympics »
15) Develop and support usage of a cranial trauma alert chip that notifies emergency crews of extreme trauma (this will significantly reduce domestic violence, crime, and tragedy in America)
16) Work to use science and technology to be able to eliminate all disabilities in humans who have them
17) Insist on campaign finance reform, limit lobbyist’s power, and include 3rd political parties in government
18) Create a scientific and educational industrial complex in America instead of a military industrial complex. Spend money on wars against cancer, heart disease, and diabetes—not on wars in far-off countries

Le fait de pouvoir se présenter aux élections présidentielles américaines montre une capacité financière et humaine importante, mais il est difficile d’en évaluer l’ampleur exacte. Malgré la popularité du mouvement, la création d’un parti est risquée dans un pays religieux et conservateur. Par ailleurs, la mouvance transhumaniste se veut apolitique et le choix de monter un parti a provoqué la réprobation de la majorité des grands noms du mouvement.

Les néoluddistes (contre la technologie transhumaniste)

Si tout cela devient possible, les hommes bioniques n’ouvrent-ils pas la porte à de nombreux problèmes ? Comme des inégalités entre humanité et transhumanité, des pertes de notre qualité d’humain avec la suppression des inconvénients qui y sont liés, des armes-humaines, etc…

  • Mépris de la chair : Le transhumanisme « admire » la technologie et ne voit le corps que comme une accumulation de faiblesses qu’il faut améliorer voire supprimer.
  • Surenchère technologique : Le transhumanisme ouvre la porte à une guerre technologique, les pays voudront se surpasser et se modifieront de plus en plus pour rapidement basculer dans un excès désavantageux, voire dangereux.
  • Armes humaines : Les sciences et technologies, anciennes ou nouvelles, ont permis à l’homme de faire de grands bonds dans l’histoire. Cependant elles ont été les outils destructeurs les plus puissants. Le transhumanisme risque d’être au service de la guerre en ouvrant la porte à des supers soldats et à des armes humaines.
  • L’homme qui se prend pour Dieu : modifier son propre corps c’est aller contre les lois de la nature (et pour certains de Dieu), briser l’équilibre naturel entre les espèces, tomber dans une surestime de nos capacités à nous modifier qui provoquera notre fin. Les néoluddistes désignent même le transhumanisme comme un «bricolage de la vie».
  • Modifier notre corps remet en jeu notre qualité d’homme : Est-ce seulement notre capacité à raisonner qui nous caractérise comme humain ? Pour les néoluddistes, abandonner nos sensations, nos imperfections, nos faiblesses… aboutirait à faire de nous autre chose (une machine, un monstre…) et à abandonner notre qualité d’humain au nom d’une recherche de perfection.
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  • Inégalité entre humanité et transhumanité : La modification du corps ne serait accessible que par les plus riches, ce qui augmenterait les inégalités entre l’humanité et la transhumanité. Le transhumanisme est une idéologie redoutable. S’il y a un certain nombre d’hommes et de femmes étant technologiquement améliorés, cela va créer une distinction entre les sous hommes et les sur hommes. Cela entraînerait-il une disparition des humains non améliorés ?

Le futurologue, Hans Moravec, pense qu’à l’avenir les hommes auront des capacités augmentées. En effet, un journaliste américain, Mark Dery a interrogé cet homme en lui demandant « Que feriez-vous des milliards d’êtres humains que vous n’auriez pas améliorés ? », Hans Moravec a répondu de manière glaçante « Les tyrannosaures ont bien disparu.. » …

J’espère que ce dossier vous sera utile pour mieux apréhender cet enjeu majeur pour notre devenir. En ce qui me concerne, je choisi de garder ma fragilité d’être humain, ma sensibilité. Je suis très proche de la pensée boudhiste. Je pense que le temps n’existe pas. Seul l’instant présent existe et j’entends profiter de chaque moment, de ce monde naturel et de ces merveilles, de la chaleur d’un corps, des caresses que je prends et que je donne, de l’amour de mes proches, de l’amitié et de la fraternité qui ont de plus en plus de valeur à mes yeux. Je suis plus que jamais un humaniste convaincu. La mort fait partie de la vie et c’est grâce aux nouvelles générations qu’un nouveau monde est possible et qu’il avance. Je crois en l’imaginaire positif, à l’art, à la culture sous toutes ses formes. Les artistes sont des êtres sensibles qui traduisent leur ressenti. Nous sommes à la fois beaux et fragiles, infiniments petits et cela nous rend infiniments grands. Notre performance est dans l’infini.

Alan

2 commentaires

  1. Bel article très documenté à lire au coin du feu pour limiter l effet glaçant de la lecture on est bien loin de l’homme bionique de notre bon vieux 20e…🤔et le moravec futurologue que tu cites à la fin a une tronche de psychopathe ! Est ce que tu as lu « une machine comme moi » de Mc Ewan ? Bonne nuit bises

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