Musique / Dominique Fils-Aimé

Artiste engagée, sensible et articulée, Dominique Fils-Aimé, chanteuse montréalaise, née de parents haïtiens appelle à une révolution paisible. À travers sa musique, elle milite pour la liberté, l’espoir et l’unité.


Biographie

Par ALAIN BRUNET, LA PRESSE, Canada, Mis à jour le 31 janvier 2018

D’où viens-je? Qui suis-je? Avant de se hisser très haut à La voix en 2015, Dominique Fils-Aimé n’accordait pas une importance majeure à ces questions… qui sont pourtant à la source de Nameless, premier album d’un triptyque réparti sur trois ans.

D’où vient-elle? Elle est née à Montréal, elle a étudié dans un lycée français d’Outremont, où elle a grandi, d’où cet accent transatlantique de bonne famille. Ses parents sont haïtiens, leurs lointaines origines sont africaines, françaises, cubaines, antillaises.

Qui est-elle? À l’orée de l’âge adulte, Dominique Fils-Aimé a cherché sa voie: formations successives en photographie, relations publiques, design de mode, psycho. Inscrite au premier cycle universitaire dans le but de devenir psychologue, elle a accompagné des enfants autistes; elle a aussi assuré le soutien d’employés en détresse.

«Confrontée à tant de douleur, je me sentais moi-même devenir cette personne qui souffrait, raconte-t-elle. Je ne me sentais plus à ma place. J’ai arrêté tout ça et je me suis alors mise à la musique. Ce fut ma thérapie. Je m’y suis donnée à fond, corps et âme, je ne voulais plus en sortir. La vie me disait: « OK, vas-y. »»

Devenir la chanteuse de la famille

Depuis toute petite, la musique était sa passion, mais elle n’envisageait pas d’en faire une profession.

«Mes parents et mon milieu avaient travaillé si fort pour devenir ce qu’ils sont devenus. Autour de moi, on voulait s’assurer de la viabilité économique de mes choix. Je le comprenais et je le respectais.»

Elle chantait seule ou en privé tout en admirant sa soeur aînée, qui menait des études de chant lyrique et de piano. On la soupçonnait de mimétisme parce que subjuguée. Puis, sa frangine a renoncé à cette carrière, lui préférant les rôles d’arrière-scène – actuellement au Théâtre du Nouveau Monde et à l’Opéra de Montréal. La cadette Fils-Aimé pouvait-elle alors devenir la chanteuse de la famille? Elle commençait à y croire.

«J’ai croisé plusieurs musiciens sur ma route, je travaillais avec quiconque s’investissait pour les bonnes raisons, dans n’importe quel style. De fil en aiguille, j’ai acquis de la confiance, je me suis jointe à des groupes: Tough Love Groovy Therapy, vers 2012, Key of Groove vers 2014. On m’y a suggéré de venir devant plutôt que de faire les choeurs.»

L’éclosion artistique de Dominique Fils-Aimé s’est faite dans le bonheur, insiste-t-elle.

«Contrairement aux idées reçues, le milieu musical que je fréquentais n’était pas infesté de requins. Bien au contraire, j’ai surtout croisé que des gens souhaitant mon épanouissement.»

Et puis La voix

Et puis, ce fut La voix, déclencheur de sa notoriété. En demi-finale de la compétition, le public et son coach Pierre Lapointe lui ont préféré Matt Holubowski.

«Des Noirs et aussi des Blancs ont considéré que j’avais perdu à cause de la couleur de ma peau. À Montréal, pourtant, jamais m’avait-on parlé de la couleur de ma peau avant ce verdict. Certains ont même estimé que j’étais vendue parce que je ne criais pas à l’injustice. Il s’est dit beaucoup de bêtises, je crois.»

Quelle est son identité, alors? À l’évidence, Dominique Fils-Aimé préfère la modération et les nuances pour la définir. Selon elle, le verdict de La voix relève d’un processus plus complexe.

«Que ce soit vrai ou pas, je n’ai jamais interprété cet événement comme une défaite. Je m’y vois encore comme une gagnante, et rien ne va m’arrêter. Ce n’est pas en criant plus fort qu’on va mieux t’entendre, c’est plutôt en t’exprimant mieux.»

«Aujourd’hui, je me sens libre de communiquer mon art. « S’il faut construire ma carrière en me produisant dans de petites salles, je le ferai. Ce ne sera pas un feu de paille« , promet-elle.

On comprendra qu’une large part de l’album Nameless est née de cette réflexion. Sa créatrice y voit la traversée d’une nuit… éclairante.

«J’y passe de l’Afrique à l’Amérique du Nord, j’assiste à la création du blues, je visualise ce bleu nuit indigo. L’indigo était une plante que l’on utilisait pour teindre les vêtements royaux, elle était cultivée par des mains qui souffraient, elle passait de l’abusé à l’abuseur. J’ai grandi en tant que femme libérée, je croyais l’oppression chose du passé et… non, ce n’est pas fini. Je veux croire qu’on pourra l’éradiquer, car je vois tant d’actes de bonté chez les humains.»

Le rêve d’un esclave

Nameless démarre par une reprise épurée et très personnelle de Strange Fruit, fameux poème antiraciste d’Abel Meeropol chanté par Billie Holiday en 1939. Le fruit étrange dont il est question dans la chanson évoque ces victimes afro-américaines lynchées par les Blancs suprémacistes au début du siècle précédent.

«J’avais d’abord entendu la reprise de Nina Simone, ce qui m’a menée à écouter les autres reprises. Cette réalité épouvantable était présentée d’une manière tellement poétique que je n’en avais pas réalisé la teneur lorsque j’étais jeune. Plus tard, j’ai compris.»

Sa chanson Birds est le son à la fois libérateur et angoissant des oiseaux qui s’envolent. 

Home, c’est sa maison qui n’est qu’elle, là où ses pieds sont posés. Nameless, c’est l’essence humaine au-delà de toutes les étiquettes, de toutes les identités.

L’album se termine par Feeling Good, écrite en 1964 par les Britanniques Anthony Newley et Leslie Bricusse pour le musical The Roar of the Greasepaint – The Smell of the Crowd. La chanson fut popularisée par Nina Simone, lui conférant des vertus libératrices.

«Feeling Good conclut l’album dans un état d’esprit plus serein. Grosso modo, mes propres chansons se sont développées autour d’un texte de Maya Angelou: The Hope and the Dream of Slave. Ainsi, je deviens le rêve d’un esclave, jouissant de cette liberté à laquelle il n’aurait jamais pu rêver. Ou encore ne suis-je peut-être qu’un mirage ou bien porteuse d’un espoir de libération à venir.»

Dominique Fils-Aimé / 2e album

Après la sortie de l’album « Nameless » le 2 fevrier 2018, des concerts enflammés, deux passages au Festival International de Jazz de Montreal, de la joie pure et des moments de dur labeur…
C’est reparti pour un deuxieme album !

Du bleu de « Nameless » teinté de silences historiques et de blues, au rouge brûlant du jazz, « Stay Tuned! » est un appel, ainsi qu’un rappel à la révolution.

Quelle œuvre musicale t’a donné le goût de faire carrière en musique?

Il y a tellement d’œuvres de genres différents qui sont venues me chercher dans ma jeunesse que cela serait dur à dire. De B. B. King à Marylin Manson en passant par Lauryn Hill, Beethoven ou encore Billie Holiday, tous m’inspirent, et la variété de formats offerts pour partager ses émotions me fascine.

Quel est ton souvenir le plus lointain en lien avec la musique?

Mes souvenirs sont marqués par la musique mexicaine qui jouait les dimanches après-midi à la maison. La porte d’entrée ouverte, avec le soleil qui entrait dans la maison de la même manière que la chaleur de la musique en sortait pour se faire entendre sur le balcon…

Quelle chanson ou œuvre aurais-tu souhaité écrire et pourquoi?

Pour moi, l’important n’est pas de l’avoir écrite, mais que la chanson existe. Je n’ai envie que d’avoir écrit mes mots en toute liberté et je suis reconnaissante envers tous ces artistes qui ont écrit les leurs pour nous donner l’exemple. Sinon, pour une jolie chanson, vous pouvez aller écouter Mari Kvien Brunvoll, qui chante Everywhere You Go.

Quelle chanson ou œuvre ne te lasseras-tu jamais d’entendre?

La Sonate numéro 14, de Beethoven, et surtout le 3e mouvement, qui est comme la musique dance de l’époque.

Quel a été votre premier contrat rémunéré en tant qu’artiste?

Mon tout premier contrat a été d’assurer la première partie d’une soirée avant Dr Mad, de Voyage Funktastique. J’ai ensuite joué au Bar Waverly, une fois par mois les mercredis, en mode piano-bar, accompagnée du pianiste Jean-Michel Frédéric. J’ai découvert le plaisir de jouer autant avec un groupe qu’avec une formation plus intime, avec des gens attentifs et ouverts.

Qu’est-ce que ton patelin et ses gens t’ont apporté (sur le plan musical ou personnel)?

Le Mile-End est un village plein de gens créatifs et ayant envie de changement. Le mode de vie un peu relax et à échelle humaine qu’on y trouve aide à entrer en contact avec d’autres artistes et à pousser l’aspect collaboratif de la création, ce que j’affectionne particulièrement.

Si ta musique était un mets, qu’est-ce qu’on mangerait?

Le café du matin ou la tisane avec du miel avant le dodo

Quelle est ta plus grande fierté (sur le plan musical ou autre)?

Ma plus grande fierté est de vivre positivement, en suivant mes convictions, et de m’être entourée de gens transparents qui transforment nos rêves communs en plans qui s’exécutent.

Si tu devais choisir une personne avec qui passer une année sur une île déserte, qui serait-ce et pourquoi?

Mon meilleur ami d’enfance, parce qu’il me ferait rire pendant un an.

Quelle destination rêves-tu le plus de visiter?

Tous les studios de musique dans tous les pays

Quel conseil donnerais-tu à l’enfant que tu étais?

Ne t’en fais pas, c’est vrai que le monde est étrange. Ce n’est pas toi. On dit souvent que tout ce qui monte doit redescendre, mais le contraire est encore plus important.

Qu’est-ce qui te fait rire à tout coup?

Des bébés qui mangent des citrons.

Qu’est-ce qui te fait inévitablement pleurer?

Les quantités impressionnantes de femmes et d’enfants victimes du trafic humain chaque année

Si tu avais carte blanche dans le contexte de ton mandat en tant que Révélation, avec qui voudrais-tu partager la scène ou faire un projet?

Le collectif Montréalais Kalmunity, l’Urban Science Band, le collectif Moonshine, tous les artistes de Mutek, et tous les artistes montréalais qui m’influencent.

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